Avant de descendre de voiture, Nadeline Mauger fait une dernière retouche à son maquillage. Ce soir-là, pour aller à Yanabelbal, le concept développé par la Banda Jankler, elle porte une robe d’un jaune vif et avance sur des talons hauts. Rien de la distingue des autres cavalières bien apprêtées venues danser ce jeudi soir. Sauf que, à la différence de celles-ci, Nadeline ne vient pas « écouter » le groupe et pour cause : elle est sourde profonde.
Ce handicap de naissance, elle en a fait un atout professionnel. Durant plusieurs années, sa société, Néo, proposait des cours de langue des signes. Mais depuis un an, elle a raccroché, lassée de la vie, jamais simple, de cheffe d’entreprise handicapée. Désormais, elle assume de se recentrer et de profiter un peu plus de la vie, en particulier de sa famille et ses deux enfants. Durant ce temps suspendu, elle se concentre sur une activité qui la passionne : la danse.
Le son numérique, une « calamité » pour les sourds
Surdité, danse et musique... La chose paraît incompatible. Mais Nadeline Mauger à l’habitude de casser les a priori sur la surdité. Elle l’affirme : on peut danser en étant sourd, en suivant les vibrations de la musique. « Quand j’étais jeune, en France, explique-elle, je dansais jusqu’au bout de la nuit, avec les sourds et entendants. Mais tout a changé dans les années 2000 avec le son numérique. C’est peut-être plus qualitatif pour les entendants, mais pour nous, c’est une calamité. »
Malgré le défi permanent que cela représente, Nadeline Mauger ne renonce pas à la danse. Durant trois ans, elle fait de samba. « Ce n’était pas facile, il fallait retenir les pas, les chorégraphies. C’était un challenge épuisant mais passionnant. J’aime la mise en travail du corps, le travail de l’équilibre. » Lorsqu’elle danse avec un cavalier qu’elle ne connaît pas, Nadeline lui indique qu’elle n’entend pas. Pour la suite, elle a ses techniques. « Je prends le rythme en faisant des pas avec les autres danseurs et j’essaie de me calquer sur la musique. Après, je suis en tension du début à la fin : j’écoute ses mouvements de bassin et en même temps je regarde les autres couples pour surveiller leur rythme et pas qui peuvent m’aider à deviner ce que je dois donner au cavalier… Mais parfois, ça foire complètement » plaisante-t-elle.
Je ne peux pas dire que je sais danser, mais je m’amuse !
Dès l’entrée chez Nana, Nadeline est tout sourire. « J’avais pris des cours de danse avec Carole Mathée il y a quelques années. J’ai compris les différences entre la biguine et la mazurka… J’ai aussi fait touloulou chez Polina, avec un groupe d’entendants qui ne signait pas. Tout se passait bien, et puis une fois que nous étions habillées et masquées, je n’avais plus aucun moyen de communiquer. Ensuite, il faut maîtriser la danse entendre la musique pour guider le cavalier. Et ça, je ne peux pas du tout le faire, aussi parce qu'à Polina ça ne vibre pas. »
La passion du carnaval transmise par des amis de Roura
En découvrant les codes du carnaval guyanais qui font frein pour les sourds, la danseuse s’ouvre à d’autres possibilités avec les soirées non masquées ou tololo, et le carnaval en commune. D’autant plus que des amis à Roura, partagent avec elle leur passion du carnaval. « C'est la famille de mon ami Yves, qui est sourd, lui aussi. Ils sont équipés et organisent régulièrement des soirées où les danses carnavalesques sont à l’honneur, avec passion. Ils ont fait une belle transmission à Yves, qui danse très bien, et ils partagent ce savoir-faire avec moi aussi. »
Comme dans les sound-system
Lorsqu’elle vient danser chez Nana, pour la première fois, Nadeline Mauger est conquise par l’acoustique. « J’aime les sound system et là, j’ai retrouvé les mêmes sensations avec la vibration. » D’autres lieux lui permettent d’apprécier la musique : en général ceux qui disposent d’un parquet et d’un son analogique.
Initiée par d’autres danseuses
Alors que Clara Nugent, lead vocal de la Banda Jankler, chante un nouveau morceau, Nadeline s’approche de la scène. Elle est vite rejointe par Aline, habituée des lieux. Les deux cavalières se connaissent. « Je lui ai montré quelques pas au début et maintenant, elle se débrouille très bien ! » lâche Aline, entre deux pas. Dans la salle, notre danseuse se fait rapidement aborder par un cavalier.
Approchée par un premier cavalier, puis un second
Ses premiers pas sont hésitants, mais elle s’accorde rapidement avec lui. Si ce cavalier était au courant de la surdité de sa partenaire, ce n’est pas le cas du second qui s’approche d’elle. D’emblée, Nadeline Mauger lui fait comprendre, gestes à l’appui, qu’elle n’entend pas. « C’est pour qu’il comprenne qu’il faut me guider fermement », précise la danseuse. Le cavalier hausse les épaules et articule un « ce n’est pas grave ! » encourageant avant de l’entraîner sur la piste.
L’important ce n’est pas la technique de la cavalière mais le bonheur qu’on peut partager ensemble
Victor, cavalier
Danse après danse, Nadeline profite de l’instant. Victor, amoureux du carnaval, partage un morceau avec elle. « Elle ne connaît pas tous les morceaux, alors elle ne peut pas faire les tous les mouvements, comme quand on s’arrête avant de repartir. Mais pour moi, l’important ce n’est pas la technique de la cavalière mais le bonheur qu’on peut partager ensemble. J’ai été très heureux de danser avec elle parce qu’elle était heureuse. Ça se voyait, même quand elle dansait seule. Quant au fait qu’elle soit non entendante… En fait, tu oublies ça assez vite ! »
Des cavaliers comme Victor, sont ceux qui conviennent le mieux à Nadeline. « Je suis meilleure avec des cavaliers avisés, bienveillants et suffisamment audacieux pour croire en moi. Là, je regarde les pieds et l’évolution des autres, en lien avec la sensation de musique et mon cavalier. » Pour eux, Nadeline Mauger a un message : « Il ne faut surtout pas laisser croire que c’est facile de danser pour un sourd, mais je souhaite inviter les cavaliers et cavalières à être créatifs et ouverts à la diversité. »