Un drame écologique est intervenu sur le réservoir de Brokopondo, au Suriname, le 18 mai dernier. Une embarcation remplie d'une quinzaine de sacs de cyanure de fer a chaviré, déversant la substance toxique dans l'eau. Situé à environ 100 kilomètres de la capitale Paramaribo, ce lac est le plus grand du pays. L'eau du réservoir se répand dans d'autres régions, et avec elle ses troubles.
Le cyanure est un produit chimique toxique massivement utilisé pour l'extraction de minerais, et notamment l'or. Au Suriname, seules deux exploitations officielles disposent d'une autorisation pour se servir du cyanure dans le cadre de l'extraction d'or, selon un protocole très strict. Mais selon le média NOS, on estime à 100 000 le nombre de prospecteurs privés qui manipulent illégalement ce produit. Parmi eux, des Brésiliens, des Surinamais, mais aussi des Chinois, qui exploiteraient une mine d'or informelle dans l'intérieur reculé du territoire.
"Cela a tout à voir avec une catastrophe"
"Cela a tout à voir avec une catastrophe. Récemment, un bateau a chaviré dans ce réservoir, transportant quinze sacs de produits chimiques Jin Chan, une marque chinoise de cyanure de fer, dès qu'il entre en contact avec la lumière du soleil, un processus chimique se produit et vous obtenez un cyanure très hautement toxique", précise la correspondante Nina Jurna dans le NOS Radio 1 Journal. Or, le réservoir de Brokopondo est extrêmement exposé à la lumière du soleil, qui a déclenché la toxicité du cyanure.
D'après les informations du service des communications du Suriname, le ministre surinamais de l'aménagement du territoire et de l'environnement (ROM), Marciano Dasai, avance des chiffres inquiétants : les mesures de la concentration de cyanure sont 1600 fois supérieures aux normes établies au niveau international pour l'eau potable.
Un poison violent pour l'environnement
Pour Laurent Kelle, président de WWF Guyane, ce taux de concentration est préoccupant : "Le cyanure est un poison largement considéré comme violent pour l'environnement notamment les systèmes aquatiques. Il provoque l'asphyxie de tous les organismes vivants, ce qui perturbe et touche toute la chaîne alimentaire", indique-t-il. Selon lui, l'utilisation du cyanure dans l'exploitation aurifère devrait être régulée, voire interdite. C'était d'ailleurs le sens d'un texte de 2010 du Parlement européen visant à interdire ce produit dans les mines. Mais selon Laurent Kelle, cette réglementation n'est pas traduite dans les faits, et n'est appliquée que par quelques pays (Croatie, République tchèque) qui ont décidé d'intégrer le texte dans leur législation interne.
Un accident comparable était intervenu en Europe en 2000, lorsque 100 000 mètres cubes d'eau polluée au cyanure ont été déversés d'un réservoir d'une mine d'or dans le réseau fluvial formé par la Tisza et le Danube, en Roumanie. À ce jour, cet accident est considéré comme la plus grande catastrophe écologique que l'Europe centrale ait connue. Dans le cas de la pollution au cyanure dans au Suriname, "on manque encore d'informations sur le comportement du produit. Mais on sait qu'il est très violent sur quelques semaines voire quelques mois. En revanche, sa rémanence est beaucoup moins forte qu'un produit comme le mercure", affirme Laurent Kelle.
Inquiétude et incertitudes
Suite à l'accident, le gouvernement surinamais a immédiatement interdit l'utilisation du cyanure dans les extractions d'or. Pourtant, les associations environnementales locales alertent depuis longtemps sur les potentiels dangers de l'utilisation non régulée du cyanure sur les écosystèmes. Les recherches sur la gravité de la pollution et sur sa potentielle contagion se poursuivent.
Pendant ce temps, les témoignages de la population se multiplient. Sur les réseaux sociaux, des vidéos de poissons morts et d'enfants atteints soudainement de maux d'estomac circulent. Dans les villages locaux, le directeur de la compagnie des eaux tente de canaliser les inquiétudes en répétant que la potabilité est testée de manière continuelle. Alors que différentes traînées chimiques vertes dans l'eau apparaissent à différents endroits du pays, la gravité de la situation n'a pas encore été évaluée.
De son côté, le média local Waterkant rapporte qu'un jeune garçon de six ans est décédé dans la matinée. L'enfant, touché subitement par des diarrhées et des vomissements avant d'être transporté à l'hôpital, ne s'était jamais plaint auparavant. Sa famille, qui soupçonne un contact avec de l'eau polluée, a réclamé l'ouverture d'une enquête sur les circonstances du décès.
Les auteurs des faits sont quant à eux toujours recherchés par les services de police.