Plus de 8 000 travailleurs indiens sont arrivés en Guyane, peu après l’abolition de l’esclavage. Depuis les descendants de ces travailleurs, ces « engagés » comme on les a appelés, sont des membres à part entière de la société guyanaise. Pourtant, l’Inde les considère toujours comme ses enfants. Crée en septembre, l’association Yana Gopio (Gopio pour Global organisation of people of indian origin, NDLR) se donne pour mission de les rassembler et de mettre un peu plus en lumière leur histoire. Il y a quelques jours, une première conférence sur cette migration indienne était organisée à la Maison des mémoires et des cultures de la Guyane. Parmi les intervenants, Rajaram Munuswamy, président de Gopio France et secrétaire général de Gopio International. Il a présenté la carte CIO, Citizen of indian origins. Celle-ci permet à son détenteur de travailler et de résider en Inde, d’acheter une maison (lire ci-dessous). Dans l’assistance, certains l’ont écouté avec beaucoup d’intérêt. Audrey Marie est de ceux-là.
Je pense faire les démarches pour obtenir cette carte
Audrey Marie
Lors de la conférence, parmi les documents présentés, parmi les noms d’engagés, elle a lu le nom de son grand-père, Paul Béhary Laul Sirder. « Je pense que cette carte représente une belle opportunité pour beaucoup de personnes, au même titre que le programme Erasmus. L’Inde est un grand pays et une grande puissance. À titre personnel, je pense faire les démarches pour l’obtenir. »
Je suis intéressée par cette carte pour mon fils
Muriel Briquet
Muriel Briquet, descendante elle aussi, d’engagé indien, partage le même intérêt. « La mère de mon grand-père était Indienne. Mais je n’ai jamais cherché à en savoir plus. Il faut dire que mon grand-père ne savait pas lire et écrire et sa mémoire était défaillante… Je suis intéressée par cette carte, pas pour moi, mais pour mon fils. Ce sont aussi ses origines, en partie. Il a 25 ans et évolue dans les nouvelles technologies. L’Inde et la Chine l’intéressent beaucoup. »
Bientôt un consul indien en Guadeloupe
Aujourd’hui, une dizaine de demandes de cartes a déjà été déposée en Guadeloupe. La Martinique s’est engagée dans le processus en septembre. Pour la Guyane, les personnes intéressées doivent se rapprocher de l’association Yana Gopio qui centralisera les demandes qui seront ensuite traitées par Gopio France. C’est l’association dans l’Hexagone qui se chargera de la suite des démarches avec l’ambassade. Les liens entre l’Inde et la zone Antilles-Guyane devraient par ailleurs s’intensifier : un consul honoraire devrait être installé en Guadeloupe début 2025.
Rajaram Munuswamy, président de Gopio France : « Avec cette carte, il y a un côté émotionnel »
Pouvez-vous expliquer ce qu’est la carte CIO ?
Il s’agit d’une carte délivrée par le gouvernement indien aux étrangers d’origine indienne. Elle remplace une carte qui existe depuis plus de 20 ans, la carte PIO (People of indian origins). Elle est délivrée après vérification de l’ascendance de la personne qui la demande. Ce n’est pas un passeport, mais cette carte officielle permet que les personnes d’origine indienne aient un droit au sol. Elles peuvent acheter une maison, entrer dans une activité commerciale, travailler et vivre pour toujours en Inde…Seules deux choses ne peuvent pas être faites avec cette carte : voter en Inde et acheter un terrain agricole.
Qui l’a mise en place ?
Il s’agit du gouvernement indien. L’objectif est de rapprocher les citoyens d’autres pays. L’Inde a obtenu son indépendance en 1947 mais on trace les premiers départs d’Indiens depuis 17ème et le 18ème siècle. Ce sont notamment les engagés qui sont partis travailler dans les champs de canne à sucre selon un accord entre la France et le Royaume-Uni. Cette migration a démarré en 1840 - 1850 et a duré jusqu’à 1910-1915. Il y a eu plusieurs vagues de départ avec des contrats de cinq ans. Les personnes partaient, entre autres de Calcutta ou Podichéry et partaient vers l’Île Maurice, La Réunion, l’Afrique du Sud, tous les pays caraïbes… Dans le monde, on estime que la diaspora indienne s’élève à 30 millions de personnes. La plus importante est aux Etats-Unis.
Et en Guyane française ?
L’association Yana Gopio est récente, on n’a pas encore de chiffres, mais on estime ce nombre à peut-être un petit millier. En Guadeloupe, il y a 56 000 personnes d’origine indienne, et 8 000 en Martinique.
Comment expliquer cette différence entre la Guadeloupe et la Martinique ?
En Guadeloupe, les personnes qui sont arrivées ont été plus proches de ce qu’elles étaient avant. Elles ont fait de l’agriculture et ont réussi leur vie sur place alors elles ne sont pas reparties contrairement à d'autres. La plus grande diaspora (pour les régions ultramarines, NDLR) se retrouve par contre à La Réunion : les descendants d’Indiens représentent 400 000 personnes soit la moitié de la population totale.
Revenons à la carte CIO. À qui est-elle délivrée ?
Il s’agit d’une négociation entre pays. Dans le cas de la France, c’est elle qui définit les modalités avec l’Inde. Les premières cartes ont été attribuées à des personnes en Métropole, puis à la Réunion. Les demandes sont en cours pour la Guadeloupe, elles ont été actées en septembre pour la Martinique. On espère pour l’année prochaine en Guyane.
Quelles sont les démarches à effectuer ?
En globalité, c’est surtout un travail de vérification, notamment d’actes de naissance. Pour le moment, on a défini qu’on remonterait jusqu’à six générations. On récupère pour chacune d’elle les actes de naissance. On les fait valider par l’autorité locale, puis authentifier avant de les faire traduire en anglais. Ensuite, tous ces documents, ainsi que des photos sont envoyés à l’ambassade. Les frais consulaires s’élèvent à 250 euros. La carte est ensuite valable pour toute la durée de validité du passeport de la personne qui l’a demandée. Ensuite, il y a une mise à jour à faire. Gopio France fournit un mode d’emploi. Pour la Guyane, l’association Yana Gopio fera le lien avec Gopio France pour les personnes intéressées.
On comprend que pour les personnes qui demandent la carte, il y a aussi un côté sentimental…
Oui, il y a ce côté émotionnel, c’est une carte qui est sentimentale avant tout. Il y a l’emblème de l’Etat indien, comme un passeport de quelques pages. Elle permet de vivre comme un Indien et de voyager vers l’Inde. Aujourd’hui, je fais la promotion de l’Inde. J’incite aussi les Indiens à venir dans les îles. On peut même imaginer un circuit touristique comme « la route des engagés ». Mais aujourd’hui un Indien qui veut aller en Guadeloupe, par exemple, doit demander un visa, en plus de son visa Schengen. Ça n’incite pas vraiment à se déplacer. Il y a aussi le manque de liaisons aériennes. De l’autre côté, et je l’ai vu en Guadeloupe, il y a de plus en plus de personnes qui veulent aller en Inde, de gens demandent à rechercher leurs racines, leurs origines. On parle d’un passé douloureux. Il y a un passé, c’est vrai, mais il y a aussi un présent. Et il y a un futur.
Contact: yanagopio@gmail.com