Université populaire à Cayenne : des conférences autour de l’identité antillo-guyanaise

Conférence de Audrey Célestine en Guyane en décembre 2024
Clap de fin pour l’université populaire. Organisée sur trois jours par Christiane Taubira, l’événement s’est clôturé ce samedi 14 décembre avec la conférence d’Audrey Célestine, professeure à New-York University politiste. Elle est intervenue sur le thème : "Penser la présence, panser l’absence, le départ, le retour, la France et nous". Autre conférence lors de ces échanges, celle de Lydie Ho-Fong-Choy Choucoutou autour de la délégitimation du Guyanais.

"Moi je suis Martiniquaise mais suis-je vraiment antillaise ? C’est quoi être Martiniquaise ?" lance Audrey Célestine au jardin botanique. "Tout le monde sait ce qu’est un Antillais. Mais pour moi ce n’est pas si évident que ça. […] Je me suis demandée comment se fabrique l’identité, même quand elle paraît évidente ?" enchaîne-t-elle.

Pour le dernier jour de ce cycle de conférences, Audrey Célestine, docteure en sciences politiques, historienne, spécialiste des Etats-Unis et des populations noires en France, a invité le public à une interrogation individuelle et collective sur notre rapport à l'identité, le départ, le retour, l'absence, la mémoire, l'assignation raciale et notre histoire commune. "Je m’intéresse aux questions de migrations, au fait que les territoires d’Outre-mer sont des territoires dans lesquels on est beaucoup parti, dans lesquels on arrive et on revient".

Ecoutez sa conférence en intégralité

L’installation au cœur des préoccupations en Guyane

En ce qui concerne le rapport entre la France et les DOM-TOM, la Guyane notamment, "les conditions posent problèmes. Il y a des formes de tensions liées à une histoire douloureuse, coloniale et post-coloniale, marquée par le fait que les gens ont dû partir et s’installer de manière plus ou moins contrainte" commente Audrey Célestine. "La question de l’installation [... ] est au cœur des préoccupations en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, mais pas exactement de la même manière. Ce sont des choses que l’état central rencontre parfois des difficultés à envisager et l’idée est de parler de ces enjeux mais en essayant de se parler entre nous".

Ce regroupement qui fait qu’on devient antillo-guyanais en France alors qu’on ne connait pas grand-chose de la Guyane donne à penser. […] Si on est en France depuis longtemps, que l’on a un enfant avec quelqu’un qui n’est pas de la Martinique, cet enfant est-il Martiniquais ? S’il est né en France et qu’il a passé la plupart de sa vie en Martinique, devient-il Martiniquais ? Ces questions n’avaient pas de réponses évidentes. Ça m’a intéressé d’écouter la réponse des gens.

Audrey Célestine

"Nous participons à notre délégitimation" 

Selon Djamila Delannon l’une des organisatrices de l'événement, ce temps d’échanges s’avère nécessaire : "l’Université populaire reste l’envie de Christiane Taubira qui souhaite toucher et parler à toute la population sans se dire qu’un échange intellectualisé ne s’adresse qu’à quelques-uns".

Jeudi 12 décembre, c'est donc Lydie Ho-Fong-Choy Choucoutou, professeure d’histoire reconnue qui s'est exprimée avec "Petit abécédaire pour exister au monde".

Cet abécédaire a été élaboré en résonance avec le nom de l’Université populaire : Ató koté to ?, qui interroge notre présence tant physique que symbolique dans notre pays. Toutes les lettres de l’alphabet n’ont pas été utilisées mais essentiellement celles qui renvoient à des mots qui relatent des expériences signifiantes pour nous, Guyanais.

Lydie Ho-Fong-Choy Choucoutou

À titre d'exemple, "altérité renvoie à immigration, assimilation renvoie à égalité, colonialisme vert à écologistes… Les dates qui les accompagnent nous inscrivent dans une historicité qui témoignent de notre enracinement dans le péyi-Guyane" explique la professeure. "Nous participons malheureusement à notre délégitimation par des postures qui témoignent de notre incapacité à nous penser comme centre d’où notre désir de reconnaissance et de validation par les autres. C’est ainsi qu’une confrérie culinaire a sollicité un spécialiste, paraît-il, pour nous expliquer notre "bouyon wara". Nous aimons reprendre à notre compte les mots des autres, le "kalawang" est renommé, salade de mangues".

L'objectif de cet abécédaire est de nous rappeler ce que nous sommes, ce que nous avons fait, ce que nous pourrions être capables de faire à partir de nos ressources propres, pour exister au monde comme Guyanais.

Lydie Ho-Fong-Choy Choucoutou

Retour de l’université populaire 13 ans après

Durant trois jours, mardi 10, jeudi 12 et samedi 14 décembre, la population guyanaise était invitée à participer à l’Université populaire organisée par l’ancienne garde des Sceaux, ministre de la Justice, Christiane Taubira à la Chambre de Commerce de la Guyane et au Jardin botanique de Cayenne. Plusieurs interventions ont eu lieu avec pour fil conducteur la thématique de l'identité. Marvin Yamb, créateur d’un tiers-lieu a également échangé avec le public sur le thème suivant : l’Abattis, sens et perspectives. Les tiers-lieux comme espaces de démocratie et de créativité.

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La dernière du genre s’était tenue en 2011 à la ferme Zulémaro sur la thématique de la création de la collectivité unique avec le professeur de droit, Guy Carcassone.

Facebook live de la soirée du 14 décembre sur la page officielle de Christiane Taubira

Qui est Audrey Célestine ? Née en 1980 à Dunkerque, est une politologue, maîtresse de conférences en sociologie politique et études américaines à l'université de Lille, historienne spécialiste des États-Unis et des populations noires en France.

Elle est l'autrice de trois ouvrages, "La fabrique des identités : L'encadrement politique des minorités caribéennes à Paris et New York", publié aux éditions Karthala en 2018, "Une famille française" (Petite encyclopédie critique), aux éditions Textuel en 2018, et "Des vies de combats", publié aux éditions de l'Iconoclaste en 2020 dont la préface a été écrite par Aïssa Maïga.