« Wisi Bergi, la Montagne sorcière » de Olson Kwadjani, une histoire de résistance, de toutes les résistances…

« Wisi Bergi, la Montagne sorcière » de Olson Kwadjani a été publié en avril chez l’Harmattan. Ce roman réaliste a pour toile de fond le  projet d’exploitation minière la Montagne d’or. Un livre éclairant sur le mode de vie de la communauté businenge. 

« Wisi Bergi, la Montagne sorcière » de Olson Kwadjani est une histoire de résistance. La résistance, la lutte contre l’oppression peut revêtir de multiples formes. Dans ce roman, il s’agit de se battre contre l’implantation minière de la Montagne d’or. L’éternelle histoire de David contre Goliath. Le livre commence par une cérémonie du grand Conseil. Une cérémonie, où sont sollicités les Ancêtres. Le projet de la mine est déjà bien entamé, les consultations avec les élus et les habitants des communes concernés se succèdent. Le doute subsiste. Les participants veulent savoir ce que pensent les Ancêtres de ce projet mirifique, sensé contribuer au développement du territoire. Parmi eux : Djesie. Français, Surinamais, Djesie est un jeune businengebien dans son temps. Il surfe entre les cultures, mais son appartenance à la communauté noire marronne reste son socle.

Sur la trace des Ancêtres

La réponse des Ancêtres est sans appel. Après des siècles de soumission, il est urgent de se réveiller. Djesie décide alors de rentrer en résistance. Il est guidé par les esprits, qui jalonnent son chemin par des signes et des révélations. Djesie doute beaucoup, que peut-il faire ? Il est seul contre ce projet, cette multinationale, ces géants venus de l’Occident qui avancent masqués. Mais l’appel est entendu par d’autres, Amérindiens, Businenges, les deux communautés entrent en résistance. La résistance passe par la lutte armée, mais aussi par des stratégies plus vénales. 

Choc des cultures

Okson Kwadjani dit être un jeune auteur de 27 ans, chercheur en sciences de la communication, mais son identité reste mystérieuse. Il arrive à entraîner le lecteur dans son récit et à nous faire entrer dans ce monde businenge, sur les rives du fleuve avec ses rites, ses codes, ses coutumes. Une frontière coloniale sépare les deux rives du fleuve Maroni, elle ne figure que sur les cartes. Il a un sens de la description minutieux, installe une athmosphère, une ambiance, "on est dedans !". Il décrit le fossé abyssal existant entre les Marrons descendants d’esclaves venus d’Afrique et la société créole d’aujourd’hui, acculturée, en perte de racines. Il retranscrit avec beaucoup de justesse, le choc culturel et le mode de pensée qui séparent les Occidentaux et les habitants de ces territoires. La spiritualité noire marrone, basée sur l’animisme, l’omnipotence de la nature, et le rôle des ancêtres est sous-jacente. 

"Wisi Bergi" est un roman réaliste, et plausible. La lutte contre le projet Montagne d'or n'est qu'un prétexte, à une introspection nécessaire. C’est une histoire, qui interroge sur le sens à donner à son propre positionnement identitaire, et ses capacités de résistance.

"Wisi Bergi la Montagne sorcière" de Olson Kwadjani chez l’Harmattan

►Retrouvez la version vidéo :

La rubrique littéraire : Wisi Bergi, la résistance à Montagne d'Or.

 

"Qui est Olson Kwadjani ? L'auteur entretient le mystère

- Comment vous qualifiez-vous en tant qu'auteur ?

Je ne sais pas encore trop répondre à cette question. Je suis encore novice en écriture fictionnelle puisque c'est mon premier roman publié. J'ai commencé à raconter par la voie orale, puisque j'ai été conteur sur les deux rives du fleuve jusqu'à un passé récent. Mes activités d'écriture ont commencé par l'écriture de chroniques, dans lesquelles j'ai essayé de garder un regard amusé à la fois sur la sphère institutionnelle et administrative, mais également sur les comportements de mes frères marrons.
L'idée m'est ensuite venue d'exprimer une opinion que je pense partagée par  beaucoup : l'opposition absolue au projet Montagne d'or. Rappelons-nous que 73% des Guyanais s'étaient déclarés par sondage opposés à ce projet au moment où j'ai commencé l'écriture de ce récit.
Pour répondre plus précisément à votre question, je suis un auteur observateur, tâchant de cultiver la lucidité, tout en utilisant la langue du colon historique que je retourne comme une arme contre lui.

- Cette histoire repose sur du vécu où l'avez-vous complétement inventée ? quelles ont été vos sources d'inspiration ?

Vous l'aurez deviné, le décor de mon récit est complètement inspiré de l'actualité. Bien sûr, mes personnages n'existent pas en tant que tels, même si plusieurs caractères, plusieurs prises de position, plusieurs paroles appartiennent complètement à la réalité. Certaines réactions rapportées dans mon livre, je les ai observées dans mon entourage ; certaines paroles, je les ai entendues proférées à proximité de mes oreilles... Jusqu'à certaines déclarations politiques vers la fin du récit qui sont de pures citations.
Je dois bien avouer que l'actualité, ici, a été pour moi très porteuse d'inspiration. Il n'y avait plus, ensuite, qu'a faire prendre l'émulsion entre le monde réel vu par les décideurs et la mystique utopie de jeunes Guyanais issus de cultures traditionnelles

- Dans votre livre, le vieil adage, "la fin justifie les moyens" semble se vérifier, le héros utilise l'arme de la sexualité pour soutirer des informations, qu'avez vous voulu démontrer ?

Mon but n'est pas de démontrer, mais simplement de montrer. Quoi donc ? Tout simplement que la détermination est payante. Au XVIIIè siècle, si les Marrons Boni, Djuka, Saramaka et autres n'avaient pas été déterminés, la résistance à l'esclavage aurait peut-être été tout autre. C'est cette capacité à défier et à braver jusqu'à risquer l'affrontement que mes jeunes héros ont mis en jeu ici.
Vous me dites : "le héros utilise l'arme de la sexualité pour soutirer des informations". Vous me permettrez une rectification : c'est plus compliqué que des confidences sur l'oreiller... Ici, le héros utilise le point faible de son adversaire à savoir sa sexualité... Ç'aurait pu être un autre travers, bon à exploiter pour le faire se retourner contre le prédateur. Car en effet, ici, la fin justifie les moyens.
Mais il manque encore un ingrédient pour mettre à bas définitivement l'agresseur : c'est le danger suprême, à savoir la menace. Après une montée en puissance d'actes provocateurs et belliqueux, vient la menace ultime, qui laisse entrevoir le pire quand le seulement malfaisant a déjà été prouvé.

-La culture businenge, la force des ancêtres sont omniprésentes dans vos écrits. C'est pour vous, en tant que jeune, l'occasion de la perpétuer ?

Sans hésitation, je vous réponds oui. J'appartiens profondément à ce pays qui s'étend sur les deux rives du Maroni, j'appartiens à ce peuple  qui s'est auto-émancipé et j'appartiens à mes ancêtres auxquels je dois d'être ici.
Dans ce récit, on peut dire que mes jeunes héros se sont comportés en véritables Marrons.
Comme disent nos anciens : "Là où sont nos ancêtres aujourd'hui,  demain nous allons. Là où nous sommes aujourd'hui, demain nos enfants seront". Quel pays, quelle culture allons-nous leur laisser comme bagages ?