L'archéologie préventive, un souhait vieux de trente ans en Nouvelle-Calédonie

Réalisation de tranchées dans le cadre d’un diagnostic archéologique réalisé en province Nord.
Fin 2022, des ossements humains avaient été découverts dans le secteur d’Onghoué, sur le littoral de Païta. Ils avaient été déterrés lors de travaux d’aménagement routier. C’est qu’en Nouvelle-Calédonie, l’obligation d’archéologie préventive n’existe pas. Elle permet pourtant de détecter et d’étudier des vestiges susceptibles d’être détruits. Et d’en apprendre plus sur l’histoire du Caillou.

À Païta, en novembre et en décembre 2022, des ossements étaient sortis de terre. Le creusement d'un fossé d'écoulement des eaux pluviales entre la route du littoral et le bord de mer avait fait émerger des restes humains.

Après ouverture d'une enquête, le procureur de la République expliquait que "l’expertise réalisée par l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale a conclu que les ossements d’origine humaine correspondaient à deux individus adultes : l’un de sexe féminin et l’autre de sexe masculin, dont la période de décès estimée est supérieure à cinquante ans, détaillait Yves Dupas. Aucune lésion traumatique n’a été relevée par les experts. Classement de la procédure pour absence d’infraction."

"Plus de cinquante ans ? Pour nous, ça ne veut rien dire. C'est cinquante-quatre ans ou mille ans ?", s'interroge Stéphanie Domergue, l'une des responsables d’opérations à l’IANCP, l'Institut d'archéologie de Nouvelle-Calédonie. Sans entrer dans une polémique vis-à-vis de la justice, s’il y a eu analyse, il y a une date plus précise. Mais on n’a pas eu de retour."

Appelés sur place après les premiers prélèvements des gendarmes, les archéologues ont récupéré une partie des ossements. Pour ceux qui ont été envoyés dans l'Hexagone, "ils sont en train d'être rendus au pays", selon Jean-Marie Wadrawane.

Ça nous échappe complètement à partir du moment où la gendarmerie et l’appareil judiciaire mettent la main dessus. C’est le souci avec ces découvertes fortuites.      

Stéphanie Domergue, responsable d'opérations à l'IANCP

Diagnostic préventif

"Ce site aurait dû faire l’objet d’un diagnostic préventif, poursuit le chef du service archéologie de l’IANCP. Ce secteur de Païta est bien connu, depuis le milieu des années 70. Il fait partie des zones au potentiel archéologique élevé, explorées par André-John Ouétcho et Christophe Sand, notamment.

Les forces de l'ordre, premières sur les lieux, suivent leurs procédures pour définir s'il s'agit d'un crime, et si l'individu existe dans la base de données des personnes disparues. "Ils ne sont pas informés de la démarche scientifique qu'il y a derrière, ils ne connaissent pas le contexte calédonien, affirme Jean-Marie Wadrawane. Par conséquent, ils enlèvent le fait archéologique, ils détruisent notre campagne de travail. Ce qui va nous intéresser, c'est la mise en fosse de l'individu, les objets qui sont autour…"

 

Souvent, on nous appelle quand les os ont été prélevés. Après, on nous donne des boîtes : ”voilà, c'est le squelette.” On ne peut faire qu'une analyse, et du coup, on a 1% de l'information sur tout ce qui intéresse la phase scientifique de l'étude de la mort, l'archéothanatologie.

Jean-Marie Wadrawane, spécialiste de l'archéologie préventive

Archéologie de sauvetage

"Ce secteur de Païta a fait l'objet de fouilles. On est sur des poteries du début du millénaire après JC, jusqu'au monde kanak, détaille Jean-Marie Wadrawane. On a une occupation de deux mille ans. Il y a des endroits comme celui-là qui sont connus comme zones de sépultures. Souvent, on est en contexte de bord de mer." Un diagnostic archéologique préalable aurait permis de détecter ces dépouilles. Mais l'archéologie préventive est une notion à géométrie variable en Nouvelle-Calédonie. Dans l'Hexagone, elle est obligatoire depuis 2001.

Sur le Caillou, c'est l'archéologie de sauvetage qui perdure, où l'on "sauve les meubles" en récoltant ce que l'on peut, si tout n'a pas été abîmé. "On veut juste ce préalable pour récupérer l’information, et les opérations pourront suivre sans problème, explique Jean-Marie Wadrawane. On fonctionne avec la sensibilité des aménageurs et des collectivités. Mais c’est vrai que tous les projets ne passent pas forcément par le filtre d'une opération préventive."

L'archéologie de sauvetage, ça n’est pas le temps de la science parce qu’il est contraint : il faut récupérer l’information car les engins avancent. Ça détruit tous les protocoles d'intervention : le respect de la réflexion sur site, de l'enregistrement photographique, de la compréhension d'un site sur son ensemble. Le sauvetage ne permet que de récupérer le minimum.

Jean-Marie Wadrawane

Études d'impact

Le meilleur exemple, c'est le domaine de Deva. Selon la province Sud, le "site a été l'objet des plus grands chantiers archéologiques de Nouvelle-Calédonie entre 2008 et 2012." "C'est parti d'une découverte fortuite de squelettes sur Poé, une fois que le projet d'hôtel avait commencé, raconte Stéphanie Domergue. Il a dû changer de terrain. Les restes humains, c'est tout de suite plus sensible. Il n'y aurait eu que des poteries ou quelques coquillages, ça n’aurait pas éveillé les intérêts ou les susceptibilités. De là s'est mise en place une vraie démarche préventive, qui a été répercutée sur l'aménagement du domaine, sachant qu'on était dans cet espace très sensible archéologiquement. C'est une zone de sépultures, donc, d'office, on a fait des interventions bien en amont du début des travaux."

Quand un hôtel a été construit à l'anse Vata, dans les années 90, des poteries Lapita avaient été sorties de terre. Les archéologues, prévenus le jour J, ont trouvé une chape de béton en revenant le lendemain. Dans l'Hexagone, un diagnostic archéologique est obligatoire en amont de tout projet d'aménagement. Il laisse le temps de mener des analyses, de lancer une phase de datation sur les vestiges, d'étudier le site au bureau avec les plans... "En fonction de la taille du projet et du potentiel archéologique qui sera révélé par le diagnostic, on peut projeter une fouille préventive", ajoute Jean-Marie Wadrawane. 

Il y a nécessité à prendre un texte comme il existe en France, pour obliger les aménageurs à nous laisser intervenir longtemps en amont des projets. Ça serait l'idéal pour nous permettre de programmer les protocoles, et pas dans l'urgence, comme c'est fait la plupart du temps.

Jean-Marie Wadrawane, chef du service archéologie

Chronologie d'occupation de l'archipel

"Il y a encore énormément de choses à découvrir en Calédonie, pour Stéphanie Domergue. On n'en est pas aux prémices, parce qu’il y a quand même beaucoup de travail qui a été fait, mais il y en a encore pour les générations futures. Aussi bien au niveau de l'étude de ce qui a déjà été découvert, que de nouveaux sites encore à explorer... Et il manque des pièces du puzzle dans la chronologie d'occupation de l'archipel.

Et Jean-Marie Wadrawane d'ajouter : "Il est faux de croire que le paysage que l'on voit aujourd'hui est le même qu'il y a trois mille ans. Il y a une action humaine sur l'environnement et par conséquent, ce sont toutes ces phases-là qu'il faut, à un moment donné, documenter. Notre vision et notre compréhension du site se font à des échelles plus importantes [comme à Bourail, où c'était de l'ordre de l'hectare, NDLR]. Cela apporte, parfois, des réponses. Qui réveillent beaucoup plus de questions sur la façon dont le pays était occupé."

Prise de conscience globale... et politique

Les archéologues militent pour qu'une loi du pays oblige l'archéologie préventive. "Ça marche en France. Il faut utiliser le même texte et le remanier en tenant compte du particularisme océanien, préconise Jean-Marie Wadrawane. Ne serait-ce que sur le traitement des sépultures, parce qu’il y a énormément d'interdits, avec les notions de tabou. Il faut intégrer dans la réflexion le phénomène de l'indigénat et la notion de site sacré."

L'espèce de fantasme que l'on a, c'est que les archéologues viendront fouiller et bloquer le projet. Mais il faut vraiment que ce soit une découverte exceptionnelle pour que se mette en place toute une armada, et la préemption du terrain.

Stéphanie Domergue

Difficile, pour les archéologues, de voir disparaître le patrimoine calédonien. "Combien de fois on est arrivés sur place, en ne pouvant que constater les dégâts... Il y a un sentiment de gâchis, ressent Stéphanie Domergue. Il y a encore du chemin avant une prise de conscience globale, et même politique, de l'importance de ces vestiges." L'archéologie préventive touche à l'aménagement et au portefeuille. Car une taxe d'archéologie devra être mise en place, et l'équipe de l'IANCP renforcée.