10e jour de confinement, la Martinique s’interroge sur la venue éventuelle de médecins cubains

Une délégation de médecins cubains arrivant à Bélize
Une vingtaine de députés de tous bords ont écrit au premier ministre pour qu’il sollicite l'aide médicale de Cuba pour lutter contre le Covid-19 en France. Plus de 300 médecins Cubains sont en ce moment en Italie, au Venezuela, au Surinam, à Grenade et en Jamaïque. Le débat rebondit en Martinique
C’était le 7 juin 2019. Debout, face à ses pairs et face à l’ancienne ministre de la santé, Agnès Buzyn, la sénatrice Catherine Conconne prend la parole dans l’hémicycle du Palais Bourbon. L’instant est solennel, émouvant et même historique.

"La vie politique est souvent faite de frustrations et on est parfois déçu du résultat, mais, aujourd’hui, c’est une élue heureuse qui s’adresse à vous, madame la ministre."


Si Catherine Conconne jubile au micro, c’est parce que l’amendement qu’elle a proposé et défendu, avec son collègue guadeloupéen Dominique Théophile, a été adopté dans le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé. 
La sénatrice martiniquaise Catherine Conconne à la tribune du Sénat.
Cet amendement permet ni plus ni moins aux médecins généralistes et spécialistes, mais aussi aux sages-femmes et pharmaciens, ressortissants d'un pays hors de l'Union européenne, de venir travailler au sein des territoires d'outre-mer. 

Pour Catherine Conconne et Dominique Théophile, cette victoire autorise concrètement la venue en Martinique et en Guadeloupe de praticiens cubains, "afin de lutter contre la désertification médicale". Une victoire obtenue de haute lutte. "Ça a été un combat difficile", indique l’élue martiniquaise, qui a dû batailler contre les a priori et affronter les "moqueries" des parlementaires ultramarins. 
Neuf mois plus tard, les premiers médecins cubains ne sont toujours pas arrivés en Martinique et en Guadeloupe, parce que tout simplement les décrets d’application de la loi n’ont pas encore été publiés au Journal officiel.

"En janvier, c’était en bonne voie, mais depuis il y a eu le départ d’Agnès Buzyn du ministère de la Santé et la crise du coronavirus en France",

explique Catherine Conconne.

La pandémie actuelle a changé également la nature du débat autour des médecins cubains, que les élus de Martinique et de Guadeloupe souhaitent faire venir. Désormais, la CTM est en première ligne. Sa demande diffère sensiblement de ce que voulaient au départ Catherine Conconne et Dominique Théophile.
Francis Carole, conseiller exécutif à la CTM en charge des affaires sociales, explique : 

"Il y a six mois les autorités cubaines nous ont donné leur accord pour faire venir, ce mois-ci, en Martinique, des spécialistes dans le cadre du chlordécone. Mais avec la crise sanitaire, le projet a été ajourné. Nous leur avons néanmoins demandé de nous envoyer des médecins pour nous aider à lutter contre le coronavirus. Ils sont d’accord. Nous avons demandé à la direction du CHUM de nous faire remonter ses besoins. Nous avons saisi le préfet qui ne semble pas opposé à ce projet. En revanche, le gouvernement tarde à nous donner une réponse. Tant que les décrets d’applications de la loi ne seront pas publiés, on ne peut rien faire".

 L’initiative de la CTM est partagée par le député Jean-Philippe Nilor et le maire du Prêcheur Marcellin Nadeau (co-fondateur du parti Péyi-a).
De gauche à droite : Marcellin Nadeau - Jean-Philppe Nilor
Eux aussi réclament des renforts cubains. Ils ont écrit à Emmanuel Macron et demandé au directeur de l’ARS et au préfet de plaider leur cause.

Pour Catherine Conconne, l’initiative de la CTM n’est rien d’autre qu’un "effet d’aubaine". Elle estime, qu’en matière de maladies infectieuses, comme le coronavirus, il n’y a pas de besoin dans l’urgence, car la Martinique dispose des meilleurs spécialistes qui ont fait leur preuve lors des épidémies de dengue et de chikungunya.

"Ce qui nous manque en revanche en Martinique ce sont les spécialistes qui nous font défaut au quotidien, comme des ophtalmologues ou des néphrologues par exemple. Pour avoir un rendez-vous dans ces domaines, il faut parfois attendre 1 an. C’est insupportable. Quand le CHU recrute des médecins qui viennent d’Europe, ils demandent des sommes astronomiques et ça grève le budget de l’hôpital. C’est la loi de l’offre et de la demande. Les Cubains eux ne sont pas des mercenaires. Après le vote de notre amendement, le gouvernement a demandé à l’ARS de Martinique de lister les profils de médecins souhaités".

Quoi qu’il en soit, la balle est aujourd’hui dans le camp de l’Exécutif parisien. La collectivité territoriale de Martinique maintient néanmoins la pression.
Claude Lise (président de l'Assemblée) et Alfred Marie-Jeanne (président du conseil exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique)
Le président de l'assemblée de la CTM, Claude Lise, souhaite la reprise au plus vite des négociations avec le gouvernement cubain. Le président du conseil exécutif, Alfred Marie-Jeanne, a écrit au chef de l’État, et fait passer localement le message suivant au préfet.

Francis Carole en résume les termes sans détours :

"Nous devons tout mettre en œuvre pour sauver un maximum de vies en Martinique. Face à une telle épidémie, l’apport des médecins cubains nous parait important. Si le pire devait arriver, avec des centaines de morts chez nous, les Martiniquais demanderont des comptes au gouvernement".


Au dixième jour de confinement, l’expertise cubaine dans la gestion des crises d’épidémie sanitaire est au centre des discussions en Martinique et bien au-delà. Quels types de médecins viendront chez nous ? Quand et pour combien de temps ? En attendant les réponses à ces questions, il est recommandé à chacune et chacun de s’appliquer la formule : "Rété a kay zot".