A l'occasion de la sortie sur grand écran du nouveau film du réalisateur Steve McQueen, 12 Years a Slave, actuellement en tête du box-office en France, Serge Bilé s'interroge sur le traitement réservé par le cinéma français au thème de l'esclavage.
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Je me réjouis du succès mondial que connait déjà le film de Steve Mc Queen, 12 Years a Slave, adapté de l'histoire vraie d'un jeune Africain Américain, Solomon Northup, capturé et vendu comme esclave dans les plantations de Louisiane, au dix-neuvième siècle.
Pour autant, je ne peux m'empêcher de regretter, avec tristesse, la frilosité et le retard considérable pris par le cinéma français pour aborder ce type de sujets.
Entendons nous bien : il ne s'agit pas de montrer l'esclavage pour remuer le couteau dans la plaie, nourrir de vieilles rancœurs, ou figer les esprits dans un passé douloureux. Non. Il s'agit de restituer une page essentielle de l'histoire de France.
Sauf erreur de ma part, il n'existe pas à ce jour un seul grand film sur l’esclavage dans les territoires français, qu'ont été ou que sont encore la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Saint-Domingue, la Louisiane, le Québec, ou l'île de la Réunion.
Il y a certes eu, en 2002, le film Sucre amer du réalisateur guadeloupéen Christian Lara, consacré à la bataille, menée par un groupe d'esclaves contre l'armée bonapartiste, venue rétablir le code noir dans les colonies. Mais il a bénéficié de si peu de moyens que seuls l'ont regardé les spectateurs... antillais.
Puis, en 2011, on a pu voir Case Départ, présenté comme le premier film français sur l'esclavage. Thomas Ngijol et Fabrice Eboué ont connu le succès. Mais, comme entrée en matière, beaucoup de spectateurs espéraient mieux qu'une comédie pour rendre compte d'une tragédie qui a duré trois siècles.
A l'inverse, les films sur l’esclavage et les discriminations raciales sont plus nombreux aux Etats-Unis, même si 12 Years a Slave se distingue et ouvre la voie d’un vrai changement. "Quelque chose s’est produit. Je ne sais pas combien de temps cela durera. On ne peut mésestimer, dans ce phénomène, le rôle du président Obama. Avec ce président noir, une autre perspective est apparue, le droit à une expression nouvelle a été donné. Ceux qui ne voulaient pas soutenir ce genre de projets le font. Et peut-être même que certains se disent que ces histoires ont aujourd’hui des atouts commerciaux", précisait récemment le cinéaste noir américain Steve Mc Queen.
Une telle profusion permet en tout cas aux productions hollywoodiennes d'évoquer les différents aspects de ce drame. Elles ne se contentent pas de montrer des esclaves enchaînés, humiliés, et battus. Elles dévoilent aussi des Noirs, rebelles, révoltés, insoumis.
Aussi, l'image incomplète, véhiculée en France, de ces esclaves auxquels on a octroyé la liberté, comme on ferait l'aumône, s'enrichit-elle, grâce aux films américains, d’un non-dit ravageur, à savoir que les "nègres" se sont également battus, souvent jusqu’à la mort, pour préserver leur dignité et briser leurs chaines. Ça change tout.
Le cinéma français nous prive aujourd'hui de ces scènes fortes, porteuses de vérité et d’espoir. Il s'inscrit ainsi, par son désintérêt, dans le droit fil de ces politiciens qui font croire, pour noyer le poisson, qu'on appelle à la de repentance, là où il n'est question que de reconnaissance, sous toutes ses formes, d'une réalité historique.
Ces scènes sont en tout cas nécessaires à la mémoire collective. Elles sont nécessaires pour casser les stéréotypes et combattre le racisme qui en découle. Elles sont nécessaires pour extirper la honte de soi et la haine de l'autre. Bref, ces scènes, nous en avons besoin d'urgence.
Serge Bilé
Pour autant, je ne peux m'empêcher de regretter, avec tristesse, la frilosité et le retard considérable pris par le cinéma français pour aborder ce type de sujets.
Entendons nous bien : il ne s'agit pas de montrer l'esclavage pour remuer le couteau dans la plaie, nourrir de vieilles rancœurs, ou figer les esprits dans un passé douloureux. Non. Il s'agit de restituer une page essentielle de l'histoire de France.
Sauf erreur de ma part, il n'existe pas à ce jour un seul grand film sur l’esclavage dans les territoires français, qu'ont été ou que sont encore la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Saint-Domingue, la Louisiane, le Québec, ou l'île de la Réunion.
Il y a certes eu, en 2002, le film Sucre amer du réalisateur guadeloupéen Christian Lara, consacré à la bataille, menée par un groupe d'esclaves contre l'armée bonapartiste, venue rétablir le code noir dans les colonies. Mais il a bénéficié de si peu de moyens que seuls l'ont regardé les spectateurs... antillais.
Puis, en 2011, on a pu voir Case Départ, présenté comme le premier film français sur l'esclavage. Thomas Ngijol et Fabrice Eboué ont connu le succès. Mais, comme entrée en matière, beaucoup de spectateurs espéraient mieux qu'une comédie pour rendre compte d'une tragédie qui a duré trois siècles.
A l'inverse, les films sur l’esclavage et les discriminations raciales sont plus nombreux aux Etats-Unis, même si 12 Years a Slave se distingue et ouvre la voie d’un vrai changement. "Quelque chose s’est produit. Je ne sais pas combien de temps cela durera. On ne peut mésestimer, dans ce phénomène, le rôle du président Obama. Avec ce président noir, une autre perspective est apparue, le droit à une expression nouvelle a été donné. Ceux qui ne voulaient pas soutenir ce genre de projets le font. Et peut-être même que certains se disent que ces histoires ont aujourd’hui des atouts commerciaux", précisait récemment le cinéaste noir américain Steve Mc Queen.
Une telle profusion permet en tout cas aux productions hollywoodiennes d'évoquer les différents aspects de ce drame. Elles ne se contentent pas de montrer des esclaves enchaînés, humiliés, et battus. Elles dévoilent aussi des Noirs, rebelles, révoltés, insoumis.
Aussi, l'image incomplète, véhiculée en France, de ces esclaves auxquels on a octroyé la liberté, comme on ferait l'aumône, s'enrichit-elle, grâce aux films américains, d’un non-dit ravageur, à savoir que les "nègres" se sont également battus, souvent jusqu’à la mort, pour préserver leur dignité et briser leurs chaines. Ça change tout.
Le cinéma français nous prive aujourd'hui de ces scènes fortes, porteuses de vérité et d’espoir. Il s'inscrit ainsi, par son désintérêt, dans le droit fil de ces politiciens qui font croire, pour noyer le poisson, qu'on appelle à la de repentance, là où il n'est question que de reconnaissance, sous toutes ses formes, d'une réalité historique.
Ces scènes sont en tout cas nécessaires à la mémoire collective. Elles sont nécessaires pour casser les stéréotypes et combattre le racisme qui en découle. Elles sont nécessaires pour extirper la honte de soi et la haine de l'autre. Bref, ces scènes, nous en avons besoin d'urgence.
Serge Bilé