22-mé, la libération au bout d’une longue attente

Le Journal Officiel de la Martinique du 24 mai 1848.
Impatients et déterminés à conquérir leur liberté, les esclaves ont précipité les événements lors de l’insurrection finale, le 22 mai 1848.
Mardi 23 mai 1848, 1h10 du matin, palais du gouverneur de la colonie de la Martinique. Le général de brigade Claude Rostoland signe un arrêté dont le préambule est sans ambages : "Considérant que l’esclavage est aboli en droit qu’il importe à la sécurité du pays de mettre immédiatement à exécution les décisions du gouvernement de la métropole pour l’émancipation générale ans les colonies françaises" ; arrête en son article 1er que "l’esclavage est aboli, à partir de ce jour, à la Martinique".

À Saint-Pierre, où il siège, c’est l’explosion de joie. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. À Fort-de-France, l’abolition prend effet le lendemain. Puis c’est au tour des autres zones de la colonie, le 25 mai. Dans une proclamation, le gouverneur provisoire, tout à sa volonté de maintenir la paix civile, insiste : "Je recommande à chacun l’oubli du passé; je confie le maintien de l’ordre, le respect de la propriété, la réorganisation si nécessaire du travail, à tous les bons citoyens".

La nouvelle de l’abolition est connue fin mars


Tout avait commencé le 24 février, par le renversement de la monarchie constitutionnelle. Lamartine et Ledru-Rollin proclament la Seconde République sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris. Un gouvernement provisoire se met en place. Pour les colonies, il envisage de demander à la future Assemblée nationale d’abolir l’esclavage. Victor Schoelcher insiste et l’emporte : il faut que ce soit le gouvernement qui prononce cette décision.

Un mois plus tard, le 24 mars, le Journal officiel de la Martinique publie une dépêche de François Arago, ministre de la Marine et des Colonies. Il y  confirme la prochaine émancipation des esclaves. Le gouverneur fraîchement nommé, encore à Paris, François-Auguste Perrinon, natif de Martinique s’adresse à ses compatriotes : "Bientôt il n’y aura plus aux colonies ni maîtres ni esclaves. Ce sont des citoyens nouveaux que la République va donner à la France (…) Aux noirs nous recommandons la confiance dans les blancs, à ceux-ci la confiance dans les noirs, à toutes les classes la confiance dans le gouvernement. Aux uns, nous recommandons comme un devoir de bon citoyen le plus entier oubli du passé, aux autres, la préparation la plus sincère, la plus loyale à l’ère nouvelle dans laquelle nous allons entrer (…) Patience, espérance, union, ordre et travail, c’est ce que je vous recommande à tous (…)"

Les républicains renversent la monarchie


Fin mars, chacun sait que le gouvernement provisoire va engager plusieurs réformes : le rétablissement de la liberté de la presse, l’abolition de la peine de mort, l’instauration du suffrage universel. Et pour les colonies, l’abolition de l’esclavage. L’impatience gagne. Les esclaves désertent les champs et les ateliers. Les débats semblent s’éterniser à Paris. Les délégués des colons mettent tout leur poids dans la balance pour atténuer les effets de l’interdiction du travail servile. Les planteurs finissent par comprendre qu’ils ne pourront pas s’opposer au nouveau régime. Leur autorité se dissout peu à peu. Le gouverneur temporise tant qu’il le peut. Lui aussi attend le décret, finalement signé le 27 avril.

En attendant le document officiel, les incidents se multiplient entre esclaves et maîtres. Les passages à tabac et les assassinats de colons sont fréquents. L’ordre public est menacé. La récolte de la canne est compromise, faute de bras en nombre suffisant. Un énième incident met le feu aux poudres, le 20 mai. Léon Duchamp, propriétaire d’une plantation à Sainte-Philomène, demande et obtient l’arrestation de Romain, un esclave affecté à l’atelier de fabrication de manioc. Celui-ci désobéit au maître qui interdit au mèt tanbouyé de rythmer au son de son instrument le travail de ses frères et sœurs de misère.

L’insurrection finale du 22 mai


Romain est jeté en prison à Saint-Pierre. Une injustice mal tolérée par les esclaves et les libres de couleur de la zone du Nord-Caraïbe. Ils réclament la libération de Romain. Le premier adjoint au maire de Saint-Pierre, Pierre-Marie Pory Papy, un avocat mulâtre, militant de l’abolition, ordonne la libération de Romain. Fin de l’épisode ? Que nenni ! Le maire du Prêcheur, Antoine Huc ordonne aux gendarmes de tirer dans la foule joyeuse. Bilan : trois morts et dix blessés. Des représailles s’organisent. Les manifestants se battent contre les soldats renforcés par des colons. Vingt révoltés sont tués. Ils finissent par l’emporter. Huc et plusieurs békés s’enfuient en bateau.

Lundi 22 mai, le peuple prend le contrôle de la capitale. Des colons sont attaqués. Une trentaine de personnes se replient dans la maison de la famille Sanois, sur le pont de la Roxelane. Les insurgés cernent la maison. Un coup de feu retentit et tue un manifestant. Le feu est mis à la maison. Ses trente-trois occupants périssent. Les gendarmes perdent le contrôle de la situation. Dans la soirée, Saint-Pierre et sa région ne sont plus qu’incendies et désolation. La population exige l’abolition immédiate de l’esclavage. Le conseil municipal vote son principe, après une brillante plaidoirie de Pory Papy. Il remplace le maire, Hervé, qui démissionne.

Le gouverneur est convaincu par le maire de Saint-Pierre 


Pory Papy exhorte le gouverneur, tout juste revenu de Fort-de-France, à décréter l’abolition dans la colonie. Conscient de l’urgence, le militaire s’exécute d’autant qu’il sait que son remplaçant est en mer. Le calme revient peu à peu, mais l’allégresse est telle que la colonie semble sans dessus-dessous.

Le commissaire général Perrinon arrive à Saint-Pierre le 3 juin. Il apprend que l’esclavage est aboli depuis dix jours. Le décret prévoyant la date d’effet de l’émancipation deux mois après son arrivée dans la colonie, soit le 4 août, semble inutile. Les insurgés, informés des dispositions du gouvernement républicain, avaient pris les devants.