22e jour de confinement en Martinique, un entrepreneur de pompes funèbres évoque son angoisse

Face à l'afflux massif de défunts dans l'hexagone, les sociétés spécialisées travaillent sans relâche. Les crémations et enterrements se succèdent à un rythme effréné. Chez nous, la situation est différente mais les professionnels sont également inquiets.
C’est l’histoire qui se répète. En décembre 2009, Didier Bordener, chef du dépôt de la Sara en Guyane, tombe subitement malade à Cayenne. Il présente les symptômes de la grippe et se soigne en conséquence, sans s’inquiéter outre mesure.

Mais très vite, l’état de santé de cet homme de 54 ans se dégrade. Une semaine plus tard, il décède.
Une autopsie est pratiquée. Elle révèle que l’homme souffrait en réalité d’un… virus appelé hantavirus. C’est un syndrome pulmonaire qui provoque une maladie aussi rare que grave. L’infection est transmise par les rongeurs sauvages, par contact notamment avec la salive ou les déjections de ces animaux. 

La mort brutale de Didier Bordener est un choc terrible pour sa famille, en particulier pour Ralph Siniamin, le fils de son épouse, qu’il a élevé comme son propre enfant. À la douleur, s’ajoutent les tracasseries administratives pour rapatrier la dépouille en Martinique, où elle est inhumée une semaine plus tard.
Ralph Siniamin raconte :

Je travaillais à la banque à l’époque mais quand j’ai vu comment les choses se sont passées, je me suis mis à réfléchir à l’idée de créer une start-up pour mieux accompagner les familles dans le deuil en leur proposant de tout organiser en amont, avec eux, en ligne. Je me suis associé avec un ami mais le projet n’a pas abouti. C’était sans doute trop tôt.

En 2015, Ralph Siniamin rachète les parts de son associé et monte sa propre entreprise de pompes funèbres. Les débuts sont modestes avec un minuscule bureau. Les années passent. Les obsèques se succèdent. La structure prend de l’ampleur. Elle emploie aujourd’hui cinq personnes, dont Jérôme Siniamin, le fils de Ralph.
Jérome Siniamin à gauche sur la photo
Pour Jérôme Siniamin, l’histoire a commencé aux Terres Sainville :

Mon père m’avait bien formé et bien préparé, si bien que j’étais prêt pour cette première intervention. C’était un cas de mort naturelle. Le défunt était mort de vieillesse. C’est moins dur que lorsqu’on est appelé pour un accident de la route ou un suicide.
 

La crise sanitaire oblige aujourd’hui Jérôme Siniamin à faire plus attention encore qu’à l’époque. À chaque intervention, il lui faut désormais enfiler quatre paires de gants qui seront retirées au fur et à mesure des opérations. Il doit également s’équiper d’une combinaison antivirus, avec visière, d’une charlotte et de couvres-chaussures. 

En cas de Covid-19 ou de suspicion de la maladie, quand il faut récupérer une dépouille à l’hôpital, cet excès de protection n’est pas un luxe. Le risque infectieux ne s’éteint pas avec la mort du patient. Le corps reste contagieux. D’où la nécessité de l’envelopper immédiatement dans une housse imperméable, sans procéder à la toilette mortuaire : la mise en bière doit avoir lieu dans les 24 heures.
Lyndsay Chery conseillère funéraire.
Avec le coronavirus, c’est en fait toute la chaîne et la tradition des obsèques qui sont chamboulées, comme l’indique la conseillère funéraire Lindsay Chery :

C’est vrai qu’on a une crainte. Il y a des choses qu’on ne fait plus avec les familles. On ne serre plus les mains. On ne prend plus personne dans nos bras. Les gens comprennent la situation. Ils acceptent aussi l’absence de veillées. En revanche, on a un problème avec la mairie de Fort-de-France. Le service qui délivre le permis d’inhumer n’est ouvert que le mardi et jeudi matin. Si quelqu’un décède le jeudi, il faut attendre la semaine suivante. Aujourd’hui, nous étions au moins 16 représentants de pompes funèbres à venir chercher ce document.

Ce mardi 7 avril au moins 16 représentants de pompes funèbres sont venus chercher des permis d’inhumer
Tandis que Lindsay et Jérôme font le travail en Martinique, Ralph Siniamin se démène à Paris. En janvier dernier, il a racheté une entreprise de pompes funèbres dans le 14e arrondissement. Depuis l’explosion du Covid-19 dans l’Hexagone, son seul employé sur place est débordé, tout comme les sous-traitants auxquels il faisait appel habituellement. 
Du coup, Ralph Siniamin est parti en renfort. Il raconte.

À Paris, on gérait au début 3 à 4 décès par mois. Aujourd’hui on en fait 2 par jours. Le funérarium de Nanterre est rempli de cercueils. Il y en a partout. C’est impressionnant. Je cherche à recruter un assistant et une équipe de trois porteurs, mais je n’en trouve pas.


En ce mardi 7 avril 2020, Ralph Siniamin a accompagné deux familles, l’une pour une crémation et l’autre pour un enterrement. Beaucoup de larmes et de cris. Difficile pour les proches de faire leur deuil, quand ils n’ont pas pu voir une dernière fois l’être aimé, emporté par le coronavirus.
Ralph Siniamin, à gauche, au cours d'une cérémonie ce mardi à Paris
Pour Ralph Siniamin, c’est aussi une épreuve :

Après des journées comme ça, c’est difficile de rentrer chez soi et d’être seul. C’est ma réalité quotidienne à Paris. Je récupère des corps contaminés dans des chambres avec le virus. Je me demande combien de temps il me faudra pour le contracter.
 

Au vingt-deuxième jour de confinement, en Martinique, comme partout dans le monde, les familles pleurent leurs morts. A l’image de Ralph Siniamin et de ses équipes, les entreprises de pompes funèbres les accompagnent du mieux qu’elles peuvent, en rappelant aux vivants la formule qui sauve : "Rété a kay zot".