D’autres contacts commentent également la petite annonce. "D'après un document que j'ai lu, livraison aujourd'hui sur Fort-de-France en priorité dans les stations-services", explique une femme. "J'en ai trouvé hier dans la petite supérette haut de Didier avant l'entrée de Bois Thibault", indique un homme. "Tu peux trouver directement à SMCR la Lézarde Lamentin", assure un musicien. Quand elle a posté son message sur Facebook, Muriel Markos avait déjà quitté son domicile et venait de faire choux-blanc dans une station-service située à Pont de chaînes à Fort-de-France. Au volant de sa voiture, elle gagne un deuxième point de vente à Ravine-Vilaine puis un troisième à Chateauboeuf. Sans plus de succès.
Pendant ce temps, ses contacts continuent de chercher de leur côté. Une demi-heure plus tard, deux femmes commentent à leur tour la petite annonce sur Facebook. "Station Vito Redoute livrée ce matin", écrit la première. "Station en face de la mairie de Fort-de-France vient d’être livrée", jubile la deuxième.
Muriel Markos a l’embarras du choix, d’autant qu’elle a reçu, entretemps, un message sur WhatsApp lui indiquant qu’une station-service a été également approvisionnée près du centre commercial à Acajou au Lamentin. C’est là finalement qu’elle trouvera son bonheur. Comme elle, nombreux sont les Martiniquais qui recherchent désespérément une bouteille de gaz, bleue ou rouge, petite ou grosse, en cette période de confinement. D’ailleurs, si Muriel Markos n’a pas eu gain de cause hier matin à Pont de chaînes, c’est parce que la station a été littéralement prise d’assaut dès l’ouverture.
Un témoin raconte :
Les gens ont entendu à la radio qu’on allait livrer le gaz. D’autres ont vu le camion de livraison et ont tout de suite compris. Enfin, il y a eu le bouche à oreille. En tout cas, quand la station a ouvert, il y avait environ une cinquantaine de personnes qui attendaient déjà pour le gaz. Tout est parti très vite.
Dans les stations-services, quand on s’enquiert au téléphone de la date de la prochaine livraison de gaz, la réponse est généralement vague et lapidaire. "On en aura peut-être aujourd’hui", s’entend-on dire dans le meilleur des cas. "On ne sait pas", rétorque le plus souvent l’interlocuteur à l’autre bout du fil, avant de raccrocher précipitamment.
Comment expliquer cette difficulté pour certaines familles à trouver du gaz à un moment où les Martiniquais en ont le plus besoin ? Est-ce la faute d’Antilles Gaz qui produit les bouteilles bleues et rouges ? Est-ce la faute de la Sara qui lui fournit la matière première, après avoir traité le pétrole brut qu’elle reçoit de la mer du Nord ? En 2019, dans le cadre du plan de prévention des risques technologiques (PPRT), la Sara a engagé de gros travaux pour sécuriser l’acheminement du butane et du propane vers Antilles Gaz. En prévision de ces travaux, la raffinerie a naturellement livré des stocks d’avance permettant à son partenaire de voir venir.
C’était sans compter avec les difficultés d’Odyssi : des coupures d’eau, intervenues en janvier, février, mars, ont mis à mal le deal entre les deux structures. La Sara consomme quotidiennement 640 mètres cubes d’eau pour faire tourner l’usine. Dans le même temps, elle doit impérativement disposer, en permanence, d’un minimum de 3000 mètres cubes d’eau stockée dans un bac incendie pour faire face au moindre sinistre. Le directeur général adjoint Jean-François Rochefort explique :
Quand la Sara estime que le niveau d’eau du bac incendie ne lui permet pas d’assurer la défense contre incendie de la zone de transfert, on ne peut pas acheminer de gaz entre la raffinerie et Antilles Gaz. Comme on ne peut pas les prévenir à l’avance, ça peut les mettre en difficulté s’ils n’ont pas suffisamment de bouteilles pleines en stock.
En janvier 2020, selon le service de communication de la Sara, la raffinerie a livré 1343 mètres cubes de butane et propane à Antilles Gaz. En février, elle a fourni 1551 mètres cubes, et en mars, 1673 mètres cubes. De son côté, Odile Licide, chef de centre d’Antilles Gaz, assure que son usine tourne à plein régime en ce moment.
Les ruptures d’eau à la Sara n’ont pas pénalisé les transferts de gaz vers Antilles Gaz depuis mi-mars. Nous fonctionnons normalement à pleine capacité depuis le confinement. La production mensuelle de bouteilles de gaz B12,5 a augmenté de 14% le mois dernier. Nos livraisons quotidiennes moyennes vers les revendeurs sont passés de 3100 avant confinement à 3500 bouteilles depuis le confinement.
Les livraisons de gaz sont programmées en fonction des couleurs des bouteilles. Aujourd’hui, seules les rouges sont sorties d’Antilles Gaz. Hier, c’était les bleues.
Raphaël Bordelais, secrétaire général du syndicat des transporteurs de matières dangereuses confirme que 3500 bonbonnes ont été effectivement réceptionnées et livrées dans plusieurs des 450 points de vente agréés.
Raphaël Bordelais possède lui-même deux camions qui ne gèrent que des bouteilles bleues. Aujourd’hui, ses véhicules n’ont pas roulé. Mais demain, dès 7h30, ils reprennent leur tournée. Le premier livrera, en deux voyages, 600 bonbonnes de gaz dans la zone qui va du Prêcheur à Schoelcher. Le second fournira la même quantité pour les secteurs du Lorrain, Ajoupa-Bouillon, Morne Rouge.
Pour Raphaël Bordelais, la "pénurie" actuelle est liée avant tout aux comportements des Martiniquais.
Avec le confinement, les restaurants ne sont plus ouverts et tout le monde fait à manger à la maison, matin, midi, soir. Comme personne ne sait combien de temps cette situation va durer, il y a des gens qui font des stocks de gaz. Dès que les stations-services sont livrées, ils achètent 3 ou 4 bouteilles, alors que c’est dangereux de garder autant de bonbonnes à domicile.
Au vingt-troisième jour de confinement, trouver une bonbonne bleue ou rouge sera mission impossible ce week-end. Après la livraison de demain, il faudra attendre mardi prochain pour que les points de vente soient à nouveau approvisionnés.
Décidément la fête de Pâques aura une drôle de saveur cette année. Les crabes sont en liberté, quand celles et ceux qui les dégustent habituellement sont prisonniers d’une formule les fait ressembler à des animaux en cage : "Rété a kay zot".