37e jour de confinement, en Martinique, les aidants familiaux n’ont pas de répit

Les dix-mille aidants familiaux que compte la Martinique doivent aujourd’hui composer avec le coronavirus. La pandémie complique leur tâche auprès de leurs enfants ou parents, malades ou handicapés. Deux mères de famille racontent leur quotidien.
C’est comme si elle revivait son premier accouchement à la maternité du Robert. Le 14 septembre 1972, après de longues heures de contractions, Stéphanie Victoire met au monde une fille prénommée Betty. Le bébé pèse 2,950 kilos. 
Douleurs de l’enfantement et bonheur d’une maman. Mais après s’être remise de ses émotions, Stéphanie Victoire découvre, avec effroi, la réalité d’une expression que l’on entend beaucoup ces derniers mois : son bébé est en… détresse respiratoire !

Depuis sa naissance, Betty n’a pas crié une seule fois ni pleuré un seul instant. En revanche ses poumons oxygènent mal son petit corps. Deux jours plus tard, une infirmière réussit à lui arracher un vagissement. L’enfant est transféré à la maternité de Redoute et placé dans une couveuse avec une assistance respiratoire.

Aujourd’hui Betty a 48 ans et quand elle entend à la télévision que des malades du Covid-19 sont eux aussi en détresse respiratoire, elle a peur. L’expression la renvoie au danger voire à la mort. D’ailleurs des milliers d’hommes et de femmes décèdent en ce moment.
Stéphanie Victoire.
Stéphanie Victoire raconte :

Elle comprend tout ce qu’il se passe. Elle a peur d’être atteinte par le coronavirus et ça la pousse à rester à l’écart. Betty souffre d’une déficience mentale. Elle est autonome mais ne peut pas se prendre en charge.
 

En temps normal, Betty passe la semaine au Morne Rouge. Du lundi au vendredi, elle navigue entre l’ESAT (établissement et service d'aide par le travail), où sont accueillis des travailleurs en situation de handicap, et le foyer d'hébergement de l'ADAPEI. Le week-end, la jeune femme retourne chez sa mère au Vert Pré. 
Stéphanie Victoire et sa fille Betty.
Stéphanie Victoire souligne :

Depuis le 16 mars, Betty est avec moi. Elle essaie de s’occuper. Dès qu’elle se réveille, elle veut tout faire : le ménage, la vaisselle, du rangement. A l’ESAT, elle travaillait au service entretien. A la maison, elle s’ennuie. Quand elle finit une tâche, elle en redemande. S’il n’y a rien à faire, elle va dans sa chambre.
 

Betty n’est pas la seule à avoir peur dans ce duo verpréen. A 73 ans, Stéphanie Victoire s’inquiète de son côté pour sa fille "vulnérable et fragile", d’autant qu’elle ne maitrise pas les gestes barrière. Pas question donc de la laisser mettre le nez, seule, dehors.

Pour Stéphanie Victoire, c’est une vigilance de tous les instants ou presque. Mais elle ne se lamente pas. Enseignante à la retraite et présidente de l’association des aidants familiaux depuis sa création en juillet 2008, elle trouve que d’autres sont plus à plaindre. 
Stéphanie Victoire explique :

Moi au moins, je sais tout ce qu’il y a à faire pour ma fille. Mais il y a des aidants familiaux qu’on oublie souvent, ce sont les parents qui s’occupent de leurs enfants tombés dans la drogue ou l’alcool. Ils sont plus nombreux qu’on ne le pense et, face à ces fléaux, ils sont désemparés.
 

Du Morne Rouge, où se trouve l’ESAT de Betty, à Saint-Pierre, où vit le couple Claude et Suzanne Larade, il y a quinze à vingt minutes de route. A 92 et 88 ans, l’ancien marin-pêcheur et l’ex-vendeuse habitent une petite maison située à la rue Bouillé.
Le couple Larade.
Claude et Suzanne Larade ont eu dix enfants, dont Christina, 50 ans aujourd’hui. Cette mère de deux garçons et deux filles se souvient d’avoir fâché son père, lorsqu’elle a arrêté ses études d’infirmière en psychiatrie à la Queue-en-Brie en région parisienne.
Christina Larade.
Christina Larade se souvient :

Après mon bac au lycée Bellevue, mon père voulait que je suive les traces de mon grand frère. Il m’a accompagné pour les démarches à Paris. Mais le milieu psychiatrique me faisait peur. J’ai laissé tomber les cours au bout de deux mois. J’ai ensuite passé un concours et je suis entrée à la RATP.
 

De 1991 à 2014, Christina Larade baigne dans un milieu largement masculin. D’abord guichetière, puis chef de manœuvre, elle finit sa carrière à la RATP comme chef de départ. A 45 ans, la jeune femme prend sa retraite et peut revenir plus facilement en Martinique pour s’occuper de ses parents sur des périodes de six mois.
Christina Larade et sa mère.
Christina Larade explique :

Ma mère souffre du cœur et est sous assistance respiratoire. En plus elle a été opérée des genoux et n’a pas récupéré. Elle ne sort plus et n’arrive à marcher que de sa chambre aux toilettes. Avec l’âge elle est devenue capricieuse. Elle me réveille pour un oui ou pour un non. Elle réclame beaucoup d’attention. Je le fais avec amour mais, mes journées sont épuisantes. Je fais le ménage, la lessive, les repas, et je suis là 24h sur 24.
 

Christina Larade devait être avec ses enfants en ce moment. Elle devait passer le relais à sa sœur ou son frère et s’envoler pour Paris le 15 avril dernier. Mais après l’annonce du confinement, elle n’a pas pu repartir. Depuis, sa tâche s’est compliquée.
Christina Larade précise :
 

Mes parents sont de l’ancienne génération. Ils ne mangent que des produits frais, les légumes, le poisson, le pain. Donc pendant trois semaines, je suis sortie tous les matins. Je ne pouvais pas dire non, car ma mère déprimait. Ça a été très dur de leur faire accepter que je fasse des courses pour plusieurs jours et jusqu’à aujourd’hui ils ne comprennent pas.

 

Au trente-septième jour de confinement, Christina Larade et Stéphanie Victoire se dévouent pour leurs proches. Les aidants familiaux ne connaissent pas de répit, encore moins en cette période de pandémie. Ils sont bien placés pour rappeler aux uns et aux autres le sens de la formule : "Rété a kay zot".