​​​​​​​53e jour de confinement, une famille martiniquaise installée à Fort-de-France, Paris et Santiago ferme le bal

Depuis le 17 mars 2020, nous vous avons proposé du lundi au vendredi une chronique sur les à-côtés du Covid-19. Ce feuilleton s’achève aujourd’hui avec le portrait croisé de trois cousines. L’une vit en Martinique et les deux autres au Chili et en France.
"Saguquga sathi bega nantsi Pata Pata". Qui ne connaît pas ce succès de Miriam Makeba ? La célèbre chanteuse sudafricaine l’a interprété sur les plus grandes scènes du monde. Dans les années 70 et 80, elle a électrisé l’Olympia, la mythique salle parisienne, à plusieurs reprises. Dans le public, se trouvait Migail Montlouis-Félicité.
 
Elle raconte :

C’était la chanteuse préférée de ma tante chez qui je vivais à Paris. Miriam Makeba a parlé de l’apartheid et du combat pour les droits civiques aux États-Unis où elle vivait en exil. J’avais 16 ou 17 ans. Je ne savais pas grand-chose de l’histoire des Noirs. Ce concert a été un déclic pour moi. J’ai commencé à chercher.
 

Migail est arrivée à Paris en 1970, après une enfance en Martinique. Au Lamentin, où elle passe ses onze premières années avant son départ, elle se souvient de punch en musique, de cadence, et de mérengué. Son père joue de la clarinette et de la trompette dans la fanfare de la commune. Il donne également la réplique, de temps à autres, aux frères Bernard et à la Perfecta.

À Paris Migail passe un bac pro secrétariat, échoue de trois points, puis tente une capacité en droit, avant de se réorienter à nouveau. Elle s’inscrit à l’université de Tolbiac pour devenir critique cinéma. Elle démarre ensuite des études littéraires par correspondance. Elle passe enfin un concours de bibliothécaire et trouve sa voie.
Migail détaille :

J’ai débuté à la section jeunesse de la bibliothèque Faidherbe. Je m’occupais des prêts et des commandes. J’aimais les livres et j’aimais danser. Je faisais partie d’un groupe antillais qui tournait en France et à l’étranger. J’étais également disc-jockey dans une boite de nuit parisienne. Je faisais aussi des piges pour Jeune Afrique et j’intervenais comme critique littéraire dans les matinales de la radio Média Tropical.
 

Depuis le confinement, Migail Montlouis-Félicité reste à la maison et ne sait pas encore précisément quand elle reprendra son poste. La bibliothèque, où elle travaille en ce moment dans le dix-neuvième arrondissement, n’ouvrira pas ses portes, le 11 mai.
 

Je n’ai pas subi le confinement. Je l’ai accueilli comme une parenthèse bénéfique. J’ai dansé. J’ai cuisiné. Je me suis retrouvée. Je me suis reconnectée avec des gens qui comptent pour moi. Je me suis replongée dans mes souvenirs. J’ai réécouté des interviews et exhumé des photos que j’avais faites de Jenny Alpha. Cette année, ça fait dix ans qu’elle est partie. Je prépare une exposition sur elle.
 

De Paris à Santiago, le voyage dure 14h en avion. C’est là que vit Olivia Bourhis Montlouis-Félicité, la cousine de Migail. Elle a suivi son mari qui dirige une entreprise de fabrication de lubrifiant dans la capitale chilienne. Le couple s’est connu sur les bancs de l’école à Fort-de-France.

Olivia raconte :

J’étais en classe de seconde et lui en terminale au lycée Bellevue quand nous nous sommes parlé pour la première fois. Après mon bac, je suis allé faire des études de psycho à Tours. Puis je me suis inscrite à Nanterre pour me rapprocher de lui et de mon poste de surveillant d’externat.
 

En 2000, Olivia fait un remplacement de CPE dans un collège et arrête la psycho. En 2003, elle passe un concours et entre au rectorat de Versailles. En 2004, elle intègre l’inspection académique des Yvelines. En 2007, elle travaille en agence comptable dans un lycée. En 2008, elle prend une disponibilité et accompagne son mari envoyé à Dubaï pour le compte d’une société pétrolière.
 

J’intervenais en petite section. J’avais des élèves de Dubaï et de diverses origines, des Marocains, Suisses, Anglais, Chinois. Il y avait également une fillette guadeloupéenne. A la rentrée en septembre, la plupart des enfants ne s’exprimaient pas en français. En décembre, tous le parlaient et le comprenaient.

En 2011, c’est le retour en France avec un avantage linguistique pour les trois enfants du couple. Les jumeaux Thomas et Maxime (12 ans) et leur sœur Léna (5 ans) maîtrisent parfaitement l’anglais. Olivia Bourhis Montlouis-Félicité retourne à l’Éducation nationale. Pas pour longtemps. En 2015, elle s’envole pour Sao Paulo où son mari est affecté.

Olivia apprécie "l’accueil chaleureux" des Brésiliens. Elle enseigne aux enfants du primaire dans un lycée français. Elle défile au carnaval sur le sambodrome. Mais en janvier 2019, il faut à nouveau plier bagage et prendre la direction de Santiago Chili. 
Olivia regrette :

Au Brésil, on pleure deux fois, quand on arrive et quand on part. Le Chili est différent. C’est plus froid. Sur mon visa, c’est écrit que je dépends de mon mari. Donc je n’ai pas le droit de travailler. À tout cela s’ajoute le racisme. On m’a traitée de sale Haïtienne qui vient voler le travail des Chiliens.
 

Pour s’occuper, Olivia donne épisodiquement des cours de cuisine antillaise aux femmes des expatriés français. Elles raffolent des accras, du colombo, du flanc au coco, et du planteur. Mais depuis le confinement, le 16 mars 2020, ces rendez-vous sont suspendus.
 

Je suis ma fille pour ses cours et ses devoirs à distance. Je gère également à distance les courses de mes fils qui sont en France. Ils sont asthmatiques et ils préparent des concours. Alors, pour éviter qu’ils sortent, je fais livrer pour eux. Quant à moi, je me suis lancée dans la création de bijoux et j’apprends à coudre à l’aide d’un tuto sur internet. Je lis également beaucoup.
 

Les deux derniers séjours d’Olivia en Martinique remontent à décembre et février passés. Elle avait revu son père et sa mère. À 80 et 76 ans, ils "continuent de vouloir faire leurs courses et à aller au marché", ce qui ne manque pas d’inquiéter leur fille. 

Olivia avait revu également quelques membres de sa famille dont sa cousine Véronique Montlouis-Félicité qui vit à Fort-de-France. C’est la fille du frère de son père. Les deux jeunes femmes ont connu des trajectoires complètement différentes. 
Véronique Montlouis-Félicité en famille.
Elevée par ses grands-parents, Véronique Montlouis-Félicité grandit à Fort-de-France. Auprès d’eux, elle trouve l’affection que n’a pu lui donner sa mère, décédée à sa naissance à la clinique Sainte-Marie. À 15 ans, elle part habiter chez son père à Fond-Lahaye. A 21 ans, elle obtient son brevet de préparatrice en pharmacie.

En 1988, Véronique fait ses premières armes dans une pharmacie à Saint-Joseph. En 1992, elle change d’officine. Direction le Robert. En 1999, désormais maman de deux garçons, Anthony et Lucas, elle rejoint un nouvel employeur au Diamant.
Véronique souligne :

Je préfère les pharmacies de commune à celles de la ville parce qu’on est plus proche des clients. J’aime le contact avec les gens. À la demande du médecin, la préparatrice peut confectionner un médicament spécifique pour un patient. On le fait en mélangeant des produits dont nous disposons, comme l’acide salicylique, l’érythromycine ou le magnésium.
 


En 2014, Véronique Montlouis-Félicité intègre une société de distribution de produits parapharmaceutiques. Devenue commerciale, elle sillonne quotidiennement la Martinique pour vendre aux pharmacies des biscuits sans gluten, des crèmes pour le visage ou des parfums.
Comme les seize autres commerciaux de l’entreprise, la jeune femme doit réaliser un chiffre d’affaires chaque mois. À son salaire fixe, s’ajoute une prime en fonction de ses résultats. Depuis le confinement, son organisation est complètement chamboulée.
 

Je fais du télétravail. Je contacte les pharmacies par téléphone et par mail, mais c’est plus difficile qu’en temps normal. Les gens sont inquiets et l’achat par exemple d’une crème anti-ride ou d’un déodorant n’est pas leur priorité.
 

Au cinquante-troisième jour de confinement, Véronique Montlouis-Félicité ajoute qu’elle n’a pas peur du coronavirus parce qu’elle baigne dans le milieu médical, ce qui ne l’empêche pas de rester vigilante. Comme ses cousines, elle s’en tient à la formule : "Rété a kay zot".