8e jour de confinement, trois antillaises installées en Martinique en Allemagne et à Paris racontent la catastrophe

De gauche à droite : Illiana, Céline et Patricia
L’une se trouve en Martinique et les deux autres en Europe. L’une est aide-soignante et les deux autres étudiante et cheffe d’entreprise. L’une est mobilisée contre le coronavirus et les deux autres confinées à la maison. Quel regard portent ces trois femmes sur la pandémie ? Portraits croisés.
"Il est temps de se réchauffer, de chanter, de danser, de se mettre à bouger". Jamais sans doute les paroles de la chanson "Mes divas" de Medhy Custos n’auront eu autant d’écho chez ses deux sœurs. En ces temps difficiles et incertains, qu’impose le coronavirus, Patricia et Ilana ont hâte de voir le bout du tunnel.

Pour Illana Custos, le cauchemar a commencé en Italie, où elle est inscrite en 3e année de droit à l’université de Bologne, dans le cadre du programme Erasmus. En janvier dernier, elle effectue un stage dans le service juridique d’une maison de haute couture à Milan. 

Un mois plus tard, alors qu’elle est revenue au campus de Bologne, elle apprend que des cas de coronavirus ont été détectés sur son lieu de stage à Milan. Illana est troublée :

"En fait, j’étais inquiète pour ces personnes mais on ne réalisait pas encore ce qu’il se passait en Italie, on ne pensait pas que ça allait devenir important".


Quelques jours plus tard, Illana prend conscience de la gravité de la situation. Le 7 mars 2020, lorsque les Italiens du nord fuient en masse la "zone rouge", pour échapper au confinement annoncé par le gouvernement, elle a déjà quitté Bologne pour Stuttgart en Allemagne. 
Illana raconte :

"J’ai été accueilli dans la famille d’une amie que j’avais rencontrée en Italie. Je ne comprends pas l’allemand. À la maison on parle anglais. Je continue par ailleurs à suivre les cours en ligne de mes profs de Bologne. En fin d’année, soit on passera les oraux via Skype, soit on rendra des dissertations par mail".


Même si Illana apprécie de se trouver à Stuttgart, elle aurait souhaité rentrer chez son père en Guadeloupe. Avec une pointe d’amertume, elle confie : "Quand ce genre de drames arrivent, on préfère être chez soi ou avec les siens"

Mais voilà, l’aéroport de Stuttgart est fermé et de toute façon son père lui a demandé de rester sur place, par précaution. Du coup, Illana se rabat sur le téléphone pour prendre des nouvelles de la famille installée en Guadeloupe et en Martinique.

Sa sœur, Patricia Lara, vit à Fort-de-France. Elle raconte son confinement :

"Je suis chez moi à Fort-de-France. Je vis dans une résidence. On est tous solidaires. Mon frigo est rempli. J’ai une autre sœur qui habite à côté. Ma mère n’est pas loin non plus. Je m’inquiète néanmoins pour mes salariés".


Patricia est cheffe d’entreprise depuis vingt ans. Elle dirige l’Albam, une agence d’intérim social, qui dispose d’une centaine de salariés. Elle met à la disposition des particuliers et des entreprises des femmes de ménages, des agents d’entretien ou encore des aides à domicile. Aujourd’hui, les trois-quarts de ses employés sont confinés chez eux.

Patricia a accompli la semaine dernière toutes les démarches pour les arrêts de travail et le chômage partiel, mais elle poursuit son activité en pointillés pour ne pas pénaliser certains de ses clients qui se retrouvent eux-mêmes en grandes difficultés.
Patricia précise :

"J’ai des clients qui n’ont aucune famille en Martinique. C’est le cas par exemple d’une retraitée guadeloupéenne qui vit seule au quartier Sainte-Thérèse à Fort-de-France. Je dois donc maintenir les prestations, comme par exemple les repas". 

Comme Illana à Stuttgart, Patricia est pressée que tout cela finisse, pressée que le monde surmonte la pandémie, pressée de retrouver sa vie d’avant pour pouvoir enfin revoir ses amis et retourner au restaurant, son péché mignon.


Patricia mesure sa chance par rapport à sa jeune soeur. Céline Lara, aide-soignante et auxiliaire de puériculture à l’hôpital Delafontaine à Saint Denis. C’est dire si elle est en première ligne dans la lutte contre le coronavirus. Elle égrène des chiffres et des faits qui donnent la mesure du drame.
 

"Face à l’afflux de patients, on a transformé plusieurs services comme l’ortho ou la neuro pour faire de la place pour les Covid. On a une centaine de malades et on fait notre maximum pour les soigner. J’ai des journées de douze heures mais je ne ressens pas la fatigue. Dans mon unité, il y a trente lits et on a un mort par jour. Ce qui me fait le plus de peine, c’est d’annoncer le décès aux membres de la famille, quand on sait qu’ils ne pourront même pas voir leurs défunts". 


Si Céline Lara se donne à fond pour ses malades, c’est parce qu’elle aime son métier. Dans sa jeunesse foyalaise, elle rêvait d’intégrer le milieu médical. Après avoir exercé comme coiffeuse à domicile pendant trois ans, elle quitte la Martinique pour Paris en 2011 et entreprend une reconversion.

D’hôpital en hôpital, Céline atterrit l’an dernier au centre hospitalier de Saint-Denis. Aujourd’hui, avec la pandémie, elle réclame, comme ses collègues, des moyens décents pour continuer à remplir sa mission consciencieusement au quotidien.

"Il y a une pénurie de masques, de tabliers, de blouses et de gants. Ça crée des tensions, parce qu’on nous demande, malgré tout, d’entrer dans les chambres. Hier nous avons refusé de travailler dans ces conditions et finalement on nous a entendues. Mais cette distribution au compte-gouttes ne peut plus durer. Ça fait peur. Nous devons être protégées. Si je n’ai pas les moyens de travailler ici, je chercherai à partir dans un autre hôpital. Je ne peux pas rester chez moi dans les circonstances actuelles". 


Céline parle avec sincérité de son engagement hospitalier et échange régulièrement avec sa sœur, Patricia Lara, en Martinique. Elle lui confie ses difficultés dans son service à Saint-Denis mais aussi ses espoirs face au coronavirus.

Au huitième jour de confinement, les paroles de la chanson "Mes divas" de Medhy Custos résonnent chez ces trois femmes. "Il est temps de se réchauffer, de chanter, de danser, de se mettre à bouger".
En attendant, à l’exception de Céline qui se démultiplie à l’hôpital, Patricia et Illana  s’appliquent la formule : "Rété a kay zot".