Alors que nos nouveaux députés effectuent leurs premiers pas à l’Assemblée nationale, il serait souhaitable qu’ils puissent, l’espace d’un instant, franchir le seuil de la bibliothèque du Palais Bourbon. Cet auguste lieu à la sobre élégance conférée par ses boiseries a été longtemps fréquenté par un de leurs illustres prédécesseurs, Aimé Césaire.
Le député Césaire a trouvé dans ce temple du savoir, des lectures vivifiantes ayant nourri sa réflexion. Il se dit que l’écrivain y a conçu les ébauches de plusieurs de ses textes et qu’il y a parachevé plusieurs autres. Le député de Martinique aura fréquenté assidument la bibliothèque, tout le long de ses 48 années de mandat parlementaire, de 1945 à 1993.
Puisse les députés élus en 2022 fréquenter cette bibliothèque, entre deux séances de nuit et de réunions de commission. Ne serait-ce que pour s’inspirer de quelques idées professées par Césaire. Lesquelles ne se limitent pas à son action politique de fondateur du Parti progressiste martiniquais, ni à son activité de maire de Fort-de-France.
Refuser l’affadissement intellectuel de l’époque
À l’instar des deux autres chefs charismatiques que la Martinique a connu durant le 20e siècle - Joseph Lagrosillière, le père du socialisme et Alfred Marie-Jeanne, le porte-drapeau de l’indépendantisme - Aimé Césaire lègue un héritage duquel nous sommes tous comptables. Il ne tient qu’à nos générations d’inscrire dans le temps son message d’émancipation. Il ne tient qu’à nous de refuser l’affadissement intellectuel de notre époque.
Surtout qu’il nous enseigne des leçons essentielles. Par exemple, ne pas oublier d’où l’on vient. Ainsi, dans le discours prononcé à Basse-Pointe le 20 mai 2005 à l’occasion de sa venue dans sa ville natale à l’initiative du maire de l’époque André Charpentier et de son conseil municipal, il dira : "Basse-Pointe a structuré mon coeur, a architecturé ma poésie (…) Basse-Pointe c’était pour moi un ensemble de valeurs humaines : la force, le courage, la dignité dans la pauvreté".
Et aussi : "Basse-Pointe a beaucoup fait pour nous, nous a montré le chemin, m’a montré le chemin, m’a montré la route du peuple martiniquais et maintenant, nous sommes un peuple martiniquais". Manière pour lui de restituer symboliquement à son lieu de naissance ce qu’il lui a apporté.
Trois périodes de notre histoire
Une autre de ses leçons consiste à savoir qui nous sommes vraiment. Dans un entretien au quotidien France-Antilles (journal local) du 8 juin 1995, Césaire argumente sur l’idée controversée, jusqu’à aujourd’hui, de nation martiniquaise. Il a été l’un des premiers à en parler : "Une nation signifie une communauté singulière d’hommes ; une communauté qui a son histoire, sa culture, sa langue, des intérêts qui lui sont propres. Nous formons donc une nation".
Manière pour lui de marteler que nous devons refuser la perpétuation de l’intériorisation de notre infériorisation. Il nous indique qu’au-delà de notre peur de nous-mêmes, nous devons nous élever au-dessus de notre condition afin d’avoir "la force de regarder demain".
Pour bien se faire comprendre, Aimé Césaire rappelait à cette occasion que l’histoire de la Martinique a connu trois grandes périodes : celle de la conquête de la liberté par les esclaves, celle de l’obtention de l’égalité par leurs descendants et celle de la quête de l’identité, le combat contemporain.
Des leçons à méditer et à mettre en oeuvre. Qui peut sérieusement le contester ?