ANALYSE. Depuis la Martinique, nous pouvons proposer des horizons nouveaux au genre humain

Malcom Ferdinand et Marcellin Nadeau.
Deux livres publiés par des auteurs martiniquais proposent une autre manière d’habiter la planète en partant d’une réflexion sur les méfaits du système économique et politique dominant dans le monde. Bref aperçu sur les livres de Pascal Margueritte et Marcellin Nadeau et de Malcom Ferdinand.

L’écologie politique sera l’idéologie dominante du 21ème siècle, comme le libéralisme a été celle du 19ème siècle et le socialisme celle du 20ème siècle. Pour s’en convaincre, il suffit de tendre l’oreille à ce qui se dit aux quatre coins de notre planète ravagée par les dégâts provoqués par le réchauffement du climat.

Lequel est produit par l’activité humaine, en premier lieu par l’exploitation des énergies fossiles - le pétrole, le gaz naturel et le charbon - et leur utilisation outrancière pour les transports, l’agriculture intensive et l’industrie. Le bilan mitigé de la COP 29 tenue en Azerbaïdjan ne fait que confirmer le fait que les producteurs de ces énergies ne sont absolument pas disposés à transiter vers des énergies renouvelables.

Il convient désormais de penser différemment notre rapport avec la nature pour n’en tirer que le nécessaire afin de préserver sa survie. Ce qui demande de refonder les rapports sociaux de production et par voie de conséquence, le système économique dominant, le capitalisme. Lequel s’est étendu sur tout le globe terrestre depuis la Révolution industrielle en Europe dans les années 1800, avec ce qu’il suppose de dégradations irréversibles à la nature et de modification des modes de vie.

Vivre différemment sur notre planète

Penser une autre manière d’habiter la planète n’est pas aisé, convenons-en. Pourtant, des penseurs s’y attellent, notamment dans les régions les plus vulnérables situées essentiellement en Afrique, dans le Pacifique et dans la Caraïbe. Parmi ces intellectuels qui veulent ouvrir des pistes de réflexion pour sortir de la spirale mortifère du système-monde actuel, nous trouvons des natifs de Martinique.

Marcellin Nadeau, député depuis 2022, ancien maire du Prêcheur (2008 à 2020) et conseiller général (2004 à 2015), est un militant écologiste depuis ses années d’étudiant à Grenoble. Il vient de publier un livre écrit à quatre mains avec Pascal Margueritte, ancien journaliste à France-Antilles et au quotidien Les Echos. Son titre interpelle : « Nous sommes la nature ! ». Avec un sous-titre explicite : « Ecologie, colonialité et liberté des peuples ». * L’éditeur martiniquais Jean-Benoît Desnel, à la tête de sa maison Idem, a souhaité diffuser cet ouvrage en format de poche.

Les auteurs se situent dans le courant récent et percutant de l’écologie décoloniale, ou « écologitude ». Cette mouvance tourne le dos à l’éco-colonialisme qui invisibilise les espaces et les peuples des territoires historiquement dominés par l’Occident. Il ne suffit pas de dénoncer, il faut proposer des solutions.

L’écologie décoloniale, une autre vision du monde

Aussi, les auteurs dévoilent des notions théorisées à partir de la pratique de l’élu de terrain qu’est Marcellin Nadeau, dont Pascal Margueritte retrace le long cheminement qui l’a amené vers une nouvelle pratique politique. Le lecteur tombera sur des mots inattendus « désenveloppement », « démobilité », « ménagement du territoire ». Un vocabulaire subversif illustrant des expériences réelles, appelées à se généraliser, espèrent les auteurs.

Parmi les nombreuses références de Margueritte et Nadeau figure Malcom Ferdinand, politiste et philosophe. Il publie au même moment aux éditions du Seuil un essai lumineux : S’aimer la Terre. Défaire l’habiter colonial.

À partir du scandale du chlordécone subi par les êtres vivants de Guadeloupe et de Martinique, Ferdinand envisage des modalités différentes d’occuper intelligemment la planète. Pour le chercheur, l’humanité ne peut plus évacuer une réflexion portant sur l’avenir du vivant.

Les thèses et les démonstrations exposées dans ces deux livres ne concernent pas les seules Antilles françaises. La perspective de l’écologie décoloniale s’applique partout. En cela, il est heureux de constater que la Martinique peut contribuer à proposer des horizons nouveaux au genre humain.

*Pascal Margueritte et Marcellin Nadeau, Nous sommes la nature ! Écologie, colonialité et liberté des peuples, Editions Idem, septembre 2024, 538 pages.

*Malcom Ferdinand, S’aimer la Terre. Défaire l’habiter colonial, Éditions du Seuil, octobre 2024, 603 pages.