ANALYSE. La réponse judiciaire suffit-elle a à résoudre la crise de la société martiniquaise ?

Le RPPRAC rappelle son mot d'ordre lors de son défilé du vendredi 25 octobre 2024 entre Fort-de-France et le Lamentin.
Quel que soit l’avenir judiciaire de la figure principale de la mobilisation contre la vie chère, le problème posé par ce mouvement citoyen va rester entier. Les poursuites judiciaires contre le président du RPPRAC se fondent sur la logique légitime du respect de la loi. Mais la seule réponse pénale permet-elle d’avancer dans la résolution d’un conflit qui n’a que trop duré ?

Chacun jugera, selon son échelle de valeurs et son niveau d’information s’il convient de punir tel ou tel. Cependant, l’honnêteté intellectuelle commande à chacun de reconnaître que cette mobilisation suscitée par une association venue de nulle part a permis de remettre au centre du débat public une problématique très ancienne.

L’élite politique, syndicale et économique aurait mis en œuvre des solutions pérennes à la cherté de la vie que nous n’en serions pas là, à nous entre-déchirer pour savoir qui a tort et qui a raison. Car pendant ce temps, la misère continue ses ravages, malgré les apparences de pays développé qu’offre la Martinique au visiteur pressé ou à celui qui choisit d’être sourd et aveugle.

Si la mobilisation en cours reçoit un tel écho, en dépit de ses faiblesses et de ses erreurs de jeunesse critiquées à juste titre, c’est parce que de larges fractions de la population se sent directement interpellée et concernée par la demande légitime d’une vie digne. Il faut savoir que "un peu plus de la moitié de la population martiniquaise (50,4 %) se trouve en situation de pauvreté".

La moitié de la population est pauvre

Cette phrase est tirée d’un rapport du Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation, le CESECEM, un organe consultatif de la Collectivité Territoriale de la Martinique. Les auteurs de ce rapport rappellent que la précarité économique, financière ou sociale, ou les trois à la fois, se mesure par le fait d’être mal nourri, mal logé, mal soigné, mal transporté.

L’un des rapporteurs, l’économiste Christian Louis-Joseph, précise qu’en Martinique, comme en Guadeloupe et en Guyane, plusieurs indicateurs montrent que nous sommes dans une situation d’alerte par rapport aux critères de l’Union européenne, dont nous sommes membres.

L’économiste prend en compte le seuil de pauvreté, le chômage et les revenus, pour expliquer que l’engrenage des inégalités sociales en entraîne un autre : "la pauvreté conduit à l’échec scolaire qui conduit à la pauvreté". Christian Louis-Joseph met aussi en exergue un autre facteur d’aggravation des inégalités, le déclin démographique, qui affaiblit considérablement le tissu productif en maintenant dans une situation de sous-consommation les citoyens les plus vulnérables sur le plan économique.

Des constats connus depuis longtemps

Ces constats sont largement documentés. Le CESECEM a souhaité les renouveler lors d’un forum citoyen en octobre 2023. Quatre questions y ont été traitées : "Comment rallier autour d’un objectif commun une population martiniquaise traversée par des fractures aussi profondes ? Comment établir un lien de confiance entre ceux d’en bas qui croupissent dans la précarité et des élites incapables de répondre à leurs attentes légitimes ? Comment combattre l’effet délétère des inégalités sur la cohésion sociale ? Comment faire peuple ?".

Pour y répondre, nous pourrions prendre au mot le pape François, qui, devant le scandale des naufrages des réfugiés en Méditérannée, déclarait à Marseille en septembre 2023 : "Ne restons pas prisonniers du fanatisme de l’indifférence".