Chlordécone : on n’était "pas suffisamment informé sur la dangerosité du produit" selon certains planteurs martiniquais

Les ouvriers agricoles affichent leur détermination.
Les désapprobations sont encore nombreuses à la suite du non-lieu prononcé dans le dossier judiciaire relatif à l’empoisonnement à la chlordécone, porté par plusieurs associations et élus politiques de Guadeloupe et Martinique. Quant aux planteurs de bananes, ils pointent du doigt la responsabilité de l’Etat, en affirmant qu’ils n’étaient "pas suffisamment informés" sur la dangerosité de cet insecticide.

Dans le cadre du dossier judiciaire relatif aux ravages causés par la chlordécone, écologistes, parties civiles et élus locaux des Antilles dénoncent toujours le non-lieu prononcé lundi 2 janvier 2023 par les deux juges d’instruction du pôle de santé de Paris, Brigitte Jolivet et Fanny Bussac.

Les planteurs de bananes déplorent eux aussi l’impact sanitaire et environnemental de cet insecticide organochloré toxique, écotoxique et persistant. Ils mettent en cause la responsabilité de l’Etat, qui aurait dû renseigner davantage sur la dangerosité du pesticide d'après eux. Le produit a en effet été classé "cancérogène probable" dès 1979 par l’Organisation Mondiale de la Santé

Usage des produits phytopharmaceutiques dans les bananeraies de Martinique

L’utilisation de celui-ci interdit en France continentale à partir de 1990, a été cependant prolongée jusqu’en 1993 aux Antilles, par dérogation ministérielle accordée aux producteurs, afin de lutter contre le charançon, le plus important ravageur du bananier.

"Une très mauvaise décision" 

Beaucoup d'organisations veulent faire la lumière sur cette affaire (…). Lorsque j'étais président de la FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles), j'avais porté plainte contre X. Je crois que c'est une très mauvaise décision qui a été prise par le tribunal et j'espère que nous aurons gain de cause dans ce dossier (…). Durant toutes ces années, les producteurs n'étaient pas très informés sur la dangerosité de ces produits phytosanitaires, et surtout le fait que cela reste très longtemps dans la nature (…). Nous aurions dû être mieux informés.

Louis-Daniel Bertome, exploitant, ancien président de la chambre d’agriculture de Martinique et de la FDSEA

"Il y a eu un préjudice"

Comme Louis-Daniel Bertome, son prédécesseur à la chambre consulaire de 1989 à 2007, Guy Ovide-Etienne, parle de "déficit d'information" et de "préjudice".

Il y a eu un préjudice à l'endroit des martiniquais, des agriculteurs et des ouvriers agricoles en termes de non-respect de la législation concernant l'utilisation de ce produit (…). Les producteurs étaient au courant que ce produit était interdit même s'il était efficace (…), mais il y avait un déficit d’information au niveau de l’Etat quant aux conséquences de son emploi, et aussi de la part de ceux qui l’ont mis sur le marché (…). Les groupements eux-mêmes n'étaient probablement pas suffisamment informés de cela, sinon ils n'auraient pas volontairement distribué ce produit.

Guy Ovide-Etienne

Le chlordécone, poison interdit en France Hexagonale dès 1990 a été utilisé dans les Antilles jusqu'en 1993, à la faveur d'un dérogation ministérielle.

"Tout le monde était au courant"

Le président de coopérative, Juvénal Rémir, qui n’a pas sa langue dans sa poche, se félicite d’avoir alerté très tôt sur les dangers de la chlordécone, aux côtés du militant écologiste de l’Assaupamar, Pierre Davidas. "Il y a beaucoup de gens en haut lieu qui étaient au courant" affirme le planteur du nord de Martinique.

Un produit est interdit ailleurs, on va demander à l’Etat de l’utiliser. Ce dernier sait que ce n’est pas autorisé ailleurs, n’a pas à donner son autorisation, ici chez nous. Oui on était demandeurs, parce qu’on n’avait pas d’autres moyens de lutter contre les charançons. Mais sachant que le produit était aussi toxique, il ne fallait pas donner le feu vert (…). L’autorisation a été délivrée par l’Etat, la direction de l’agriculture a cautionné, la chambre d’agriculture a cautionné, le syndicat FDSEA de l’époque et tout le monde était au courant, dont des élus locaux.

Juvénal Rémir   

De son côté, l’association écologique "Pour Une Martinique Autrement" estime qu’"il y a une manipulation de l’Etat". Florent Grabin, le président de PUMA, espère "un front commun de tous les élu.e.s  politiques, pour permettre à un Tribunal de le condamner".

Des méthodes alternatives proposées dès 1987

Pou lutter contre le charançon du bananier, l’INRAE Antilles-Guyane a travaillé dès 1987 sur "des méthodes moins polluantes". Mais l’institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement s’est heurté à un "problème réglementaire". La faute à qui ?