Qu'est-ce qui vous a incité à écrire sur le métissage dans nos territoires des Antilles Françaises ?
L'idée d'écrire ce livre est ancienne. Elle m'est venue quand, à plusieurs reprises, des Métis m'ont expliqué qu'ils ne se sentaient pas une composante à part entière de la société antillaise; qu'on ignorait leur réalité, leur vécu, leurs sentiments et parfois même leur existence. Ils étaient là sans être là, transparents. Ils se sentaient marginalisés.
L'un d'entre eux m'a dit : "vous les Noirs, vous avez fait votre révolution grâce notamment aux revendications identitaires des Antillais ou aux mouvements pour les droits civiques aux États-Unis. Les Antillais indiens (dont les parents sont venus d'Inde), ont accompli d'énormes progrès dans le processus de revalorisation de leur histoire, de leur culture d'origine, nous les Métis non. La littérature fait parfois allusion aux Métis, sans plus. Et encore, l'image qu'on donne de nous est souvent caricaturale, manichéenne. On nous dénie une identité propre".
Ces propos m'ont surprise. Mais en réfléchissant, je me suis rendu compte que leurs auteurs n'avaient pas tout fait tort. J'ai rétorqué : l'émancipation des Noirs a aussi servi la cause des Métis. D'après mes interlocuteurs, je me trompais. Certains Métis estiment que la revalorisation de l'image et de la condition du Noir face à la supériorité blanche clamée par les colonisateurs était aussi faite à leur détriment.
L'une des intervenantes dans le livre dit : "À une époque seule était bien vue, la revendication des origines africaines. Les critères de beauté avaient changé. Pour être beau il fallait être le plus noir possible". Je me suis dit qu'il y avait beaucoup de malentendus à propos des Métis et que je devais les faire parler. Je suis journaliste. Cela ne pouvait pas mieux tomber. J'ai recueilli leurs confidences. On sent que vous vous êtes enrichi de ces témoignages, à quel point ?
L'écriture de cet ouvrage a été pour moi une expérience extrêmement enrichissante tant sur le plan professionnel que personnel. On dit souvent qu'un Antillais ne fait pas confiance à un autre Antillais. Ce livre prouve le contraire. Je suis très sensible au fait que des Martiniquais et des Guadeloupéens n'aient pas hésiter à me parler de leurs parcours, de leurs aspirations.
J'ai rencontré des personnes qui ne veulent rejeter aucune composante de leur identité et de leur culture y compris celles jugées dévalorisantes par le regard extérieur. Une des personnes interrogées n'a pas honte de dire..."Je suis à la fois une négresse et une fille de béké".Mes interlocuteurs sont des sang-mêlé de toutes origines, africaine, indienne, européenne, chinoise. L'une des intervenantes dit : "Je suis Métisse, Caribéenne, Juive". D'autre part, je dois avouer que j'ai découvert des aspects de la réalité métisse que je ne connaissais pas. On imagine souvent que le Métis est mal dans sa peau,tiraillé, qu'il ne veut mettre en avant que la partie supposée valorisante -européenne- de sa culture. Ce n'est plus tout fait le cas aujourd'hui.
Anne-Isabelle fille d'une Noire et d'un Blanc, explique que deux cultures se sont toujours cotoyées en elle. Elle en a fait la synthèse. Cette synthèse s'est aussi opérée dans le cas de la famille XI, sino-martiniquaise qui vit son métissage avec un humour bien de chez nous. On peut revendiquer deux cultures sans être systématiquement soupçonné d'être aliéné.
Ce groupe social ou ethnique comme vous l'écrivez, peut-il jouer un rôle dans le mieux vivre ensemble aux Antilles Françaises, ou est-ce trop tôt?Le métissage est un apport essentiel à l'originalité et à la richesse de l'identité caribéenne.(Marie-Claude Celeste)
Avant, je n'y aurais même pas pensé. Aujourd'hui, j'en suis convaincue. À condition que les Métis soient de plus en plus nombreux à penser que la variété de leurs origines ne doit pas être une source de tiraillements, de frictions, de concurrence inopportune et malsaine. Ce que j'en retiens c'est qu'elle constitue un apport essentiel à l'originalité et à la richesse de l'identité caribéenne.
Confidences Métisses de Marie-Claude Céleste*, aux Éditions Jasor.*Marie-Claude Céleste, journaliste guadeloupéenne, est diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris. Elle est également titulaire d’une licence d’anglais.
Elle débute sa carrière de journaliste au service français de la BBC à Londres. Puis à Paris, elle travaille à RFI (Radio France Internationale), au service anglais et au service économie comme spécialiste des pays en développement.
Elle collabore également au mensuel Le Monde diplomatique et au quotidien La Croix. Elle prête aussi ses services au magazine Jeune Afrique.
En 1990, elle s’installe en Martinique et intègre la chaîne audivisuelle RFO. Elle dirige la rédaction radio puis le magazine d’information télévisée Caraïbes jusquà sa retraite en 2008.
Marie Claude Céleste est notamment l’auteur du documentaire "Défilée la folle", sur les femmes de la révolution haïtienne (2004). En 2008, elle dresse le portrait de Barack Obama, alors candidat démocrate à l’élection présidentielle, dans "J’ai fait un rêve".