L’universitaire Steve Fola Gadet et le chef d’entreprise Emmanuel de Reynal viennent de signer "Dialogue improbable". Cet essai entre un afro-descendant et un "béké", est une démarche volontaire de deux hommes dont la vision sociétale est (a priori) opposée sur les Antilles d’hier et d’aujourd’hui.
Rien ne laissait penser qu’un jour ils dialogueraient. Lui l’activiste pourfendeur des reliquats du colonialisme, et lui le "béké" flanqué derrière sa particule occidentale. Lui le descendant d’esclavagé révolté contre les injustices du système, et lui le descendant d’esclavagiste cherchant encore des manettes à bouger. Lui le poète slameur au cœur battant d’émotions populaires, et lui le chef d’entreprise au front plissé par les tableurs Excel et les courbes de vente. Lui l’enseignant universitaire passeur de savoir, et lui le publicitaire passeur d’idées. Lui l’homme du peuple et de la rue, et lui l’homme des bureaux climatisés. Lui le Noir, et lui le Blanc.
Extrait du livre
C’est Emmanuel de Reynal qui a fait le premier pas vers Steve Gadet, puis le dialogue s’est effectivement engagé à intervalles réguliers durant plusieurs mois, sur le banc d'un terrain vague de Schoelcher, à l'ombre d'un amandier.
Ce livre se présente comme la retranscription de nos échanges qui abordent sans fard les nombreux sujets qui crispent parfois notre société antillaise. Peut-être est-il une première du genre, tant les protagonistes pouvaient sembler opposés, ou tout au moins étrangers l'un à l'autre ?
Emmanuel de Reynal
"On a simplement pu se parler et s'écouter"
Lorsqu'il a souhaité me rencontrer, j'ai hésité longuement puis j'ai accepté. De fil en aiguille, on s'est dit que nos gens devraient entendre ce qu'on se dit. Je rappelle que beaucoup d'échanges comme ceux-ci existent mais ils sont "anba fey" (discrets) parce que cela a un prix social de le montrer. Tout ce que je pense sur notre situation sociopolitique, je l'ai écrit dans mon livre Discours sur le néocolonialisme. Nous ne sommes pas d'accord sur plein de choses notamment les réparations mais on a simplement pu se parler et s'écouter.
Steve Gadet - page Facebook
Ce n’est pas par hasard que le livre a été mis en librairie mardi 10 mai 2022, décrété depuis 2006, "Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions".
L’ouvrage aborde inévitablement en effet la question mémorielle, en confrontant là-encore, les deux points de vue déjà relayés par la presse nationale.
"Le silence a dominé"
Depuis l'abolition en 1848, le silence a dominé, dans les écoles, entre nous, et dans les différentes communautés, et jusqu'en 1998, où la question est arrivée dans le débat public. Nous avons grandi autour d'une sorte de marmite au couvercle fermé. Sans aborder franchement le sujet, en taisant ses conséquences historiques sur nos relations.
Emmanuel de Reynal - lepoint.fr
"Comment va-t-on vivre ensemble" ?
La conscience noire a été nourrie par des écrivains et intellectuels que le lis depuis que j'ai 20 ans. Mais cette année, après ce livre, c'est la première fois que je vais commémorer en pensant aussi au côté béké, en pensant que les 22 et 27 mai antillais ne nous appartiennent pas seulement à nous, les afro-descendants (…). Ma question est la suivante : comment va-t-on vivre ensemble ? (…) Quand je vois des activistes déboulonner les statues, pour que "nos héros, nos héroïnes" prennent plus de place sur le champ public, j'entends le message et la nécessité de plus de pédagogie.
Steve Gadet - lepoint.fr
Le livre "Dialogue improbable", est paru à "Caraïbéditions".