Dossier chlordécone : quels recours après le non-lieu aux Antilles ?

Manifestation anti-chlordécone à Fort-de-France en novembre 2020.
Deux juges d’instruction ont prononcé lundi 2 janvier 2023 à Paris, un non-lieu dans l'enquête sur l'empoisonnement à la chlordécone aux Antilles. Cette décision judiciaire suscite l’incompréhension et le mécontentement des Guadeloupéens et des Martiniquais, mobilisés au sein de plusieurs collectifs revendiquant la "réparation". Les parties civiles font faire appel.

Les deux juges d’instruction du pôle de santé de Paris, Brigitte Jolivet et Fanny Bussac, ont donc prononcé lundi 2 janvier 2023, un non-lieu concernant les impacts sanitaires et environnementaux liés à la pollution aux pesticides dont la chlordécone.

Ce produit phytosanitaire classé "cancérogène probable" dès 1979 par l’Organisation Mondiale de la Santé, a été interdit en France en 1990. Mais son utilisation a été prolongée aux Antilles jusqu’en 1993 par dérogation ministérielle accordée aux producteurs, afin de lutter contre des parasites dans les exploitations bananières singulièrement.  

Incompréhension des populations

Cette décision suscite une indignation unanime en Martinique et en Guadeloupe de la part des populations, des élus locaux et au sein des collectifs mobilisés depuis plus de 15 ans, pour réclamer "réparation".

"Je suis sidéré"

En 2006, l’avocat écologiste guadeloupéen, Harry Durimel, a été à l’origine de la première plainte pour  "empoisonnement". Après cette décision rendue en première instance par les juges parisiens, il dit être "sidéré".

Harry Durimel sur Guadeloupe la 1ère ©Guadeloupe la 1ère

Il faut à mon avis continuer le combat pour la vérité (…). Nous devrons être soudés pour exiger de l’Etat qu’il reconnaisse pleinement sa responsabilité.

Jiovanny William, avocat et député de Martinique

Appel, pourvoi en cassation… : les recours possibles

Le non-lieu est la "décision de clôture par laquelle une juridiction d'instruction déclare qu'il n'y a pas lieu de continuer les poursuites". Les parties civiles feront en effet appel de ce non-lieu et si elles n’obtiennent pas gain de cause, elles envisagent de se pourvoir en cassation.

Au terme d'un procès, et lorsque les voies ordinaires de recours sont épuisées, la partie qui estime que le droit n'a pas été correctement appliqué par le juge peut saisir la Cour de cassation. On dit qu'elle forme un "pourvoi en cassation.

La Cour de cassation

Autres voies de recours ?

Si l'appel et le pourvoi en cassation constituent les deux voies de recours les plus fréquentes, d'autres moyens permettent aux justiciables de contester une décision judiciaire. Il s'agit de l'opposition, de la tierce opposition et de la révision.

L’opposition tend à faire rétracter, c’est-à-dire rejuger par la même juridiction, un jugement rendu en l’absence de la partie qui en est l’objet. L’intérêt de l’opposition est d’admettre un recours au défendeur qui n’a pas comparu pour qu’il conteste la décision rendue à son insu (…). Lorsqu'une partie fait opposition, la juridiction ayant initialement statué est à nouveau saisie de l'intégralité du litige. Une nouvelle instance recommence, qui peut aboutir à la confirmation ou à l’annulation de la première décision (…). La révision est une voie de recours extraordinaire contre une erreur judiciaire qui apparaît après que la décision est devenue irrévocable.

vie-publique.fr

Depuis la loi du 15 juin 2000, un recours en révision est possible pour le réexamen d’une décision pénale définitive "en cas de violation grave de la Convention européenne des droits de l’Homme". Si un un nouvel échec survient, les parties civiles pourront par conséquent saisir cette dernière.

Cette juridiction du Conseil de l’Europe est chargée de veiller au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales par les 47 États qui l’ont ratifiée.

Manifestation à Paris pour dénoncer les ravages des pesticides aux Antilles (image d'illustration).

Dans un communiqué publié vendredi 6 janvier 2023 par la préfecture de Martinique, le gouvernement "prend acte de la décision de non-lieu annoncée par le tribunal de grande instance de Paris suite aux plaintes déposées par plusieurs associations et syndicats".

Face à ce scandale environnemental, le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr), est le premier à avoir reconnu solennellement la part de responsabilité de l'Etat en 2018. Le gouvernement reste pleinement mobilisé pour poursuivre la mise en œuvre des mesures nécessaires à la suite de cette catastrophe. Un plan doté de 92M€ vise à protéger la santé des populations, tendre vers le 0 chlordécone dans l'alimentation et réparer les impacts de cette pollution au niveau individuel et collectif aux Antilles, en réponse à ce traumatisme qui touchent les populations antillaises (…).

Le Gouvernement

Aujourd'hui, "même s'il reste encore beaucoup à comprendre", souligne le communiqué, "grâce aux travaux scientifiques, des avancées concrètes ont été réalisées".

Les analyses de chlordécone dans le sang sont gratuites (…), les analyses de sol sont gratuites pour les agriculteurs et les particuliers qui peuvent bénéficier de conseils pour produire des produits sains y compris sur sol contaminé (…), le fond d’indemnisation des victimes de pesticides est opérationnel de manière pérenne (…).

Communiqué du Gouvernement

(6 janvier 2023)

"C'est par la mobilisation des citoyens, des élus, des scientifiques, des professionnels de santé, des associations, que l'on parviendra ensemble à lutter contre les conséquences de ce fardeau" ajoute l’Etat.