Février, mois de la contestation ouvrière en Martinique depuis plus d’un siècle

Manifestation dans le secteur agricole en février 1974 à Fort-de-France.
Le mois de février est de tout temps un moment propice à la mobilisation populaire et à la contestation sociale en Martinique parce que cette période est celle du début de la récolte de la canne à sucre. L’occasion de s’en rappeler à l’occasion de l’anniversaire de la tuerie de Chalvet en 1974.

La production de canne à sucre a perdu sa centralité dans le paysage économique de la Martinique, mais elle a structuré son paysage social durant ces dernières décennies. À de nombreuses reprises, des avancées ont été acquises du fait de la mobilisation des ouvriers de ce secteur. Et c’est souvent au cours du premier trimestre de l’année, entre janvier et mars, que plusieurs mouvements populaires d’envergure ont eu lieu. Des mouvements ayant tous débouché sur des mutations économiques, sociales ou politiques.

Ainsi, en 1900, la grève des ouvriers des plantations et des usines de canne se termine tragiquement le 8 février par une fusillade mortelle. Un peloton de 25 soldats commandé par le lieutenant Kahn tire sur les manifestants rassemblés devant l’usine du François.Bilan : 10 tués et 12 blessés. Pourtant, le maire de la ville, le Docteur Homère Clément, avait réussi à ramener le calme et à convaincre les grévistes d’éviter l’affrontement. Ce qui n’a pas empêché la troupe d’ouvrir le feu sans sommation.

Le mouvement ouvrier émerge avec le 20e siècle

Cet épisode marque la naissance du mouvement ouvrier. De nombreux syndicats essaiment dans toute la colonie. Les socialistes, emmenés par Joseph Lagrosillière, encadrent les ouvriers. Les socialistes à la pointe encore en 1923 lors d’une grève qui se termine tragiquement à Bassignac, à Trinité. Deux ouvriers sont tués alors qu’ils réclament une hausse de salaires.

Une décennie plus tard, le 11 février 1935, la "marche de la faim" des ouvriers agricoles venus de toute la Martinique déferle sur Fort-de-France. Cette fois, c’est pour protester contre la baisse illégale de 20% de leur salaire. Le gouverneur Alfassa, influencé par les propriétaires d’usines, déclenche la colère du prolétariat rural. La ville est quasiment envahie durant plusieurs jours par les grévistes. 

Plus près de nous, en 1974, a lieu la dernière grande grève de la période postcoloniale, durant un mois et demi. Elle culmine le 14 février avec une fusillade en règle d’une colonne de grévistes dans les champs d’ananas de Chalvet, à Basse-Pointe.

Ilmany Sérier, dit Rénor, une des victimes de la répression de février 1974.

Parmi les revendications des ouvriers, un salaire journalier unique ou l’interdiction des pesticides, dont le Kepone, nom commercial …du chlordécone. Les arrêts de travail dans le secteur agricole s’inséraient dans une grève générale dont les premiers soubresauts dataient de novembre 973. Les employés de France-Antilles, les ouvriers du bâtiment et les dockers étaient alors mobilisés.

En 1974, la dernière grève de l’ère postcoloniale

Dans le Nord-Atlantique, la situation échappe aux autorités. Les gendarmes mobiles tuent deux ouvriers. Rénor Illmany, 55 ans, tombe lors de l’embuscade menée à terre et en hélicoptère par les gendarmes mobiles. Georges Marie-Louise, 19 ans, dont le corps est retrouvé portant des traces de torture sur la plage de Vivé, deux jours après son arrestation par les gendarmes du Lorrain. Les auteurs de ces exactions ne seront jamais traduits en justice.