Février, mois de luttes ouvrières et de résistance populaire en Martinique

Manifestation contre la chloredécone dans les rues de Fort-de-France (27 février 2021).
Le second mois de l’année serait-il un moment propice à la contestation sociale en Martinique ? En tout cas, cela a été le cas à plusieurs reprises au cours du dernier siècle.

L’histoire nous enseigne que le mois de février est une période durant laquelle la contestation sociale a souvent été intense en Martinique. Tout au long du 20e siècle, comme le souligne l’historienne Rolande Bosphore, c’est le moment de l’ouverture de la campagne de récolte de la canne à sucre.

C’est l’occasion pour les ouvriers de ce secteur de réclamer des augmentations de leurs salaires. Des revendications qui ne sont pas forcément satisfaites. Sans compter que leurs grèves et leurs mouvements de protestation sont souvent durement réprimées.

Ainsi, le 20e siècle s’ouvre par un bain de sang devant l’usine du François, le 8 février 1900. Dix morts sont relevés après la fusillade déclenchée par un détachement de gendarmes. Un épisode marquant la véritable naissance du mouvement ouvrier.

Dans les mois qui suivent, des unions syndicales se montent dans le secteur de la canne ainsi que chez les ouvriers des villes. La jonction avec le mouvement socialiste incarné par Joseph Lagrosillière s’effectuera progressivement.

Ouvriers de la canne à Fort-de-France.

D’incessantes luttes ouvrières

Deux décennies plus tard, en 1923, une nouvelle grève meurtrière a lieu à Bassignac. Rolande Bosphore, auteur d’un livre sur le sujet, indique que la grève est motivée par le fait que les ouvriers "avaient accepté de travailler avec la promesse d’une revalorisation de leurs salaires. Promesse qui n’avait été tenue ni par les propriétaires terriens, ni par les usiniers".

La grève marchante, allant d’usine en exploitation agricole, est brutalement arrêtée sur l'Habitation Ressource, au quartier Bassignac, à Trinité. Les gendarmes et des cadres de l'usine tirent sur les grévistes. Bilan : deux morts et trois blessés.

Douze ans plus tard, c’est la grande grève générale de 1935, "la marche de la faim", comme l’appelle l’historien Edouard de Lépine. Une grève marchante ayant pour origine la baisse des salaires de 20%. Influencé par les patrons, le gouverneur Maurice Alfassa ratifie cette décision qui met le feu aux poudres.

Le 11 du mois, d’imposantes délégations d’ouvriers convergent de toutes parts vers Fort-de-France. Ils campent plusieurs jours sur la place de la Savane. Les négociations sont ardues. Les patrons restent inflexibles. Le maire, Victor Sévère, joue les intermédiaires entre les ouvriers et les usiniers.

Le maire Victor Sévère s'oppose à l'intervention des gendarmes contre les ouvriers.

Une impressionnante marche de la faim

Un compromis insatisfaisant est signé. Il ne sera même pas appliqué. La colère dans les campagnes et les usines ne baisse pas. Les ouvriers sont désormais encadrés par les militants du mouvement communiste. Une donne qui modifie l’intensité de leurs luttes

En 1974, la Martinique vit la dernière grève de l’époque postcoloniale. Elle dure un mois et demi, en janvier et février. La répression est, là encore, implacable : deux ouvriers sont tués et une dizaine de manifestants sont grièvement blessés par les gendarmes.

Le pays entier est comme électrisé. Surtout que ce conflit se déroule pendant une autre grève générale interprofessionnelle. En dépit des divergences entre syndicalistes, la grève agricole ouvre une perspective, la nette amélioration des conditions de travail des salariés de la banane.

Bien entendu, les grèves les plus dures ne se déroulent pas uniquement en février. Par exemple, la répression s’abat sur les ouvriers de l’Habitation à Lajus, au Carbet, en mars 1948. Trois ans tard, le scénario se répète à La Chassaing, à Ducos, en mars 1951.

Cependant, l’histoire sera marquée durant le mois février par plusieurs épisodes permettant à la classe ouvrière de montrer sa capacité de lutte et de résistance.

Manifestation avec des ouvriers agricoles en 2020.

Une histoire sociale meurtrière

Quelques lectures pour se replonger dans le contexte de quelques grèves agricoles durant le 20e siècle en Martinique.

Rolande Bosphore, La fusillade oubliée. Bassignac 1923, Centre Littéraire d’Impression Provençal, 2019

Edouard de Lépine, La Crise de février 1935 à la Martinique : la marche de la faim sur Fort-de-France, Editions L’Harmattan, 1980 

Marie-Hélène Léotin, La grève de janvier-février 1974, APAL Productions, 1995

Marie-Hélène Léotin, Martinique, la grève de février 1900 : centenaire de la fusillade du François, APAL Productions, 2000