Fonctionnaire et militant anticolonialiste, deux options incompatibles dans les années 1960

Forces de l'ordre dans les années 60 en Martinique.
Le chef de l’Etat a commémoré le 16 octobre 2021 le 60e anniversaire de la brutale répression organisée par la police contre des Algériens de Paris. A la même époque, le gouvernement cadenassait les militants contestataires en Outre-mer.

Le 15 octobre 1960, le Journal officiel publie une ordonnance - un arrêté ministériel - permettant au préfet d’éloigner de son poste tout fonctionnaire basé dans un département d’outre-mer dont l’engagement citoyen l’amène à contester la politique de l’État. Sont particulièrement visés les militants et les sympathisants anticolonialistes, communistes pour l’essentiel.

Rédigé à la demande du Premier ministre Michel Debré, le texte stipule : "les fonctionnaires de l’État et des établissements publics de l’État en service dans les DOM dont le comportement est de nature à troubler l’ordre public peuvent être, sur la proposition du préfet et sans autre formalité, rappelés d’office en métropole par le ministre dont ils dépendent pour recevoir une nouvelle affectation ".

Un texte de circonstance visant en premier lieu les sympathisants français des indépendantistes algériens. Pourtant, l’ordonnance est appliquée aux Antilles, en Guyane et à la Réunion. L’Algérie perdue en 1962, le gouvernement du général de Gaulle se donne les moyens de maintenir dans son giron les autres possessions de l’ancien empire.

Les fonctionnaires militants sont mis à l'index

 

Ce qui provoque un large mouvement de contestation. Les motifs ne manquent pas. Grèves et manifestations ponctuent l’agenda économique et social. Par exemple, les émeutes de décembre 1959 en Martinique. Elles provoquent la mort de trois jeunes hommes de 15 à 20 ans. En toile de fond, la restructuration de l’économie sucrière, amenant chômage, exode rural, appauvrissement général.

De plus, l’impatience est palpable quant à l’application effective de la loi sur la départementalisation de mars 1946. Les espoirs sont rapidement déçus. Le même schéma prévaut, à quelques nuances près, dans les trois autres départements d’outre-mer. Dans ce contexte, les promoteurs de l’égalité des droits, communistes et socialistes notamment, se montrent très critiques vis-à-vis du gouvernement.

Les militants anticolonialistes, favorables à l’autonomie pour les uns et à l’indépendance pour les autres, sont particulièrement surveillés. Durant une décennie, à tour de rôle, neuf militants Guadeloupéens, un Guyanais, treize Réunionnais et quatre Martiniquais sont mutés en Corse, en Afrique ou dans l’hexagone.

Le gouvernement cadenasse les contestataires

 

Cependant, les militants martiniquais refusent de quitter l’île. Ce sont deux dirigeants du Parti communiste - Armand Nicolas et Guy Dufond, professeurs de lycée - et deux dirigeants de la CGT - Georges Mauvois et Walter Guitteaud, inspecteurs de la poste. Ils sont révoqués.

Dans le même temps, deux dirigeants du Front antillo-guyanais pour l’autonomie, Édouard Glissant et l’avocat Marcel Manville sont assignés à résidence à Paris. Le haut fonctionnaire Albert Béville, Paul Niger de son nom de plume, est rétrogradé et interdit de séjour en Guadeloupe. Plusieurs agents de l’Etat natifs de l’hexagone paient un lourd tribut pour avoir dénoncé la situation coloniale.

Finalement, l’ordonnance considérée comme scélérate est abrogée en 1972 par le gouvernement de Georges Pompidou.

Ce qui peut paraître de l’histoire ancienne est pourtant proche de notre époque. Nul ne craint plus pour son statut professionnel et social dès lors qu’il conteste le régime en place. Un acquis obtenu grâce à l’engagement de nos aînés qui n’ont pas dérogé à leur idéal, ni renoncé face à l’arbitraire.