Les Haïtiens font vivre le créole à New York

Le Flatbush Caton Market accueille depuis plus d'une quinzaine d'années une quarantaine de marchands, dont certains viennent d'Haïti.
Le créole était fêté, ce vendredi 28 octobre, lors de sa journée internationale. Focus sur la communauté haïtienne à New York aux États-Unis, qui fait vivre sa langue au quotidien.
En poussant la porte, nos sens se réveillent immédiatement : d'abord l'odorat, grâce à cette odeur de nourriture qui ouvre l'appétit et surtout l'ouïe avec ce kompa qui sort des hauts-parleurs de la pièce. Nous sommes dans le restaurant Bébé fritay sur Church Avenue. C'est l'un des nombreux commerces haïtiens de Flatbush, un quartier de Brooklyn, à New York. Certains appellent ce coin "the little Haiti", le petit Haïti.
Service uniquement en créole ou des offices en plusieurs langues, les deux situations existent dans les églises haïtiennes new-yorkaises.
Si vous tendez l'oreille, vous aurez l'occasion d'entendre, de-ci de-là, du créole haïtien. C'est le cas, par exemple, de cette église, située sur Church Avenue, devant laquelle nous passons par hasard. Church of God ou l'Église de Dieu est dirigée par le pasteur Joseph Castro Lyron. Ce matin-là, six personnes assistent à l'office qui se fait en trois langues : l'anglais, le français et le créole. "Il y a des visiteurs qui viennent de partout", explique le pasteur qui vit aux États-Unis depuis trente ans.


Les lieux de socialisation sont nombreux

Pour repérer ces lieux de socialisation où les conversations se font le plus souvent dans la même langue, il faut faire attention aux devantures des commerces et à leurs inscriptions très souvent écrites en français ou en créole. Vous y verrez peut-être également le drapeau haïtien.

D'autres signes ne trompent pas, comme la photo de l'équipe nationale d'Haïti de 1974 accrochée à l'entrée de l'auto-école "La différence", créée il y a plus de vingt-sept ans par Ernst Severe. "Je parle créole quand les clients me demandent des renseignements", explique Jeffrey Severe, son fils, qui travaille aussi dans l'entreprise. "Pendant les cours de conduite, j’utilise le créole pour expliquer les choses. Progressivement, je change pour l’anglais parce que l’examen est dans cette langue. Je ne veux pas qu’ils soient surpris le jour J".
"Prenez votre ticket ici pour le bus B46-SBS", explique cette affiche en espagnol et en créole.
Les Haïtiens ont construit au fil des années, une vraie communauté dans ce quartier de Brooklyn. Ils possèdent des restaurants, des bars, des salons de coiffure. Il y a des églises, des marchands, des journaux et même une auto-école. Dans les hôpitaux, dans les bus ou dans le métro, des affiches sont écrites en plusieurs langues dont le créole. Cette langue est également présente sur le site internet de la mairie de New York. On pourrait finalement parler créole toute la journée.


Parler uniquement créole au risque de dépendre des autres

Le créole, "c'est notre langue, c'est notre héritage, c'est nous, c'est notre sens, c'est notre âme", explique Ernst Severe. "On ne peut pas laisser notre langue", ajoute pour sa part, Christelle qui vit aux États-Unis depuis à peine un an. Elle veut que sa fille âgée de 18 mois apprenne le français, le créole et l'anglais.

Mais cette forme de militantisme a tout de même des inconvénients. "Des personnes d'un certain âge ont tendance à rester dans leur communauté, à parler leur langue", raconte le docteur André Peck qui dirige le HCC (Haitian-American Community Coalition), un centre communautaire haïtiano-américain qui existe depuis 1982 à Brooklyn. "Ils ont constamment besoin d'aide. Ils ont leurs enfants qui, parfois, sont nés ici. Mon staff passe beaucoup de temps à les amener d'un point à l'autre quand ils vont à des rendez-vous. Quelqu'un doit être là pour faire la traduction".
Le HCC (Haitian-American Community Coalition) est un centre communautaire haïtiano-américain créé en 1982 à Brooklyn, New York.
Pour aider à l’intégration, le HCC dispense des cours d’anglais. Mais les plus jeunes s'adaptent plus facilement et plus rapidement, fortement encouragés par leurs parents. Au cours de nos conversations en français ou en créole avec des Haïtiano-Américains, on entend des "so" [N.D.L.R. : donc en français], des "but" [N.D.L.R. : mais en français], des "whatever" [N.D.L.R. : peu importe en français]. "Il y a beaucoup d'anglicismes dans le créole new-yorkais", explique Nahomie Lolo qui travaille au HCC et qui vit aux États-Unis depuis seize ans. "Parce que l'on est aussi exposé à l'anglais, il est très difficile de ne pas intégrer des mots anglais dans notre langue".

Outre Brooklyn, la communauté haïtienne se concentre également dans le Queens. En 2015, elle compterait près de 200 000 personnes dans la ville de New York. C'est autant de personnes pour faire du créole une grande langue vivante.