Jean-Paul Césaire : le fils d’Aimé Césaire a mis en œuvre la vision culturelle du poète pour la Martinique

Jean-Paul Césaire (1939-2022).
Décédé le jeudi 1er septembre 2022, Jean-Paul Césaire est parti à 83 ans "au bout du petit matin", comme son père avec lequel il entretenait un lien fort. Le fils d’Aimé Césaire a marqué la vie culturelle de l’île.

Difficile d’évoquer la mémoire de Jean-Paul Césaire sans naturellement parler d’Aimé Césaire et de son ombre tutélaire, dans laquelle il a grandi et s’est construit. Le fils adorait son père et le père adorait son fils, comme d’ailleurs ses cinq autres enfants qu’il a couvés avec la même affection jusqu’à sa mort.

Aimé Césaire était un "papa gâteau". Même quand ses enfants étaient adultes et autonomes, il effectuait sa tournée en voiture le dimanche pour apporter à manger à ceux d’entre eux qui n’habitaient pas avec lui. Il passait prendre un plat chinois pour l’un, achetait du pain pour l’autre, prenait un poulet pour le troisième.

"Pour lui, ses enfants étaient encore ses petits. Il ne se rendait pas compte qu’ils avaient grandi. Il les protégeait", confie son entourage. Ce trait de caractère se retrouvait également chez Jean-Paul Césaire. "Tout ce qui comptait pour lui c’était le bien-être de ses enfants. Il était très attentionné également envers son père".

Jean-Paul Césaire, l'un des fils d'Aimé Césaire.

Dans la maison de Redoute à Fort-de-France où Aimé Césaire habitait, Jean-Paul a longtemps occupé le deuxième logement situé à proximité côté jardin. Il s’assurait que son père ne manquait de rien. Il lui avait installé une banquette dans le jardin pour contempler la nature et planté pléthore de bougainvilliers, les fleurs préférées du poète.

Comme ses frères et sœurs, Jean-Paul Césaire était en admiration devant Aimé Césaire. En se replongeant dans ses souvenirs d’enfance, il expliquait avec attendrissement comment son père écrivait à la maison. "De son bureau s’élèvent parfois des déclamations, c’est-à-dire qu’il écrit et déclame ses poèmes !".

En mars 2001, quand Aimé Césaire prend sa retraite politique, Jean-Paul Césaire n’habite déjà plus la maison de Redoute, mais il vient tous les matins vers huit heures pour saluer et discuter avec son père, avant que ce dernier gagne son bureau de maire honoraire à l’ancien Hôtel de Ville de Fort-de-France.

L’admiration du fils pour le père pousse également le premier à épouser très tôt les combats du second. En 1990, sous l’impulsion d’Aimé Césaire, maire de Fort-de-France, et de Jean-Paul Césaire, directeur du SERMAC (Service Municipal d'Action Culturelle), le festival culturel de la ville clame "Eïa, Mandela !" pour célébrer la libération du héros de la lutte contre l’apartheid.

Dans un entretien accordé à l’époque au quotidien Le Monde, Jean-Paul Césaire reprend un long passage du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire.

La libération du grand leader noir, puis l'accession à l'indépendance de la Namibie : en ces deux occasions, le pouvoir blanc a reculé devant la détermination des peuples d'Afrique du Sud, mais aussi devant la réprobation internationale, qu'elle soit venue d'Occident ou des pays de l'Est. Ce double combat avait été magnifié par nous dès le VIe Festival (1977), dédié à la lutte de libération des peuples d'Afrique du Sud. Nous récidivions en 1986 avec le XVe Festival, qui clamait un ferme "Non à l'apartheid !" A l'heure où il est de bon ton de dénigrer en bloc l'Afrique tout entière, il nous a semblé salubre de clamer : "Eïa pour ceux qui n'ont jamais rien inventé, pour ceux qui n'ont jamais rien exploré, pour ceux qui n'ont jamais rien dompté ! Eïa pour la douleur au pis des larmes réincarnées ! Eïa pour l'amour ! Eïa pour la joie !"

Jean-Paul Césaire
Jean-Paul Césaire, un charisme particulier.

L’admiration de Jean-Paul Césaire pour Aimé Césaire se manifeste également dans sa vie privée. Il appelle son dernier fils Christophe en hommage au chef-d’œuvre de son père. "Nous voulions un prénom qui ait du sens et nous avons spontanément pensé au héros de La tragédie du roi Christophe", explique son ancienne épouse Dominique Cyrille.

Docteur en musicologie, en poste aujourd’hui en Guyane comme conseillère à la Direction culture jeunesse et sports (DCJS), Dominique Cyrille a été mariée à Jean-Paul Césaire de 1980 à 1991. Elle a été le témoin privilégié des relations particulières qu’Aimé Césaire entretenait avec ce fils engagé comme lui.

C’est le docteur Aliker qui a choisi Jean-Paul pour diriger le SERMAC. Il trouvait que le fils avait les qualités pour mettre en œuvre en confiance la vision du père, qui était d’ailleurs aussi la sienne. Aimé Césaire a tiqué parce qu’il s’inquiétait de ce que les gens pourraient dire. Mais comme il ne contredisait jamais Aliker, il a fini par céder. Jean-Paul et son père avaient d’excellents rapports. C’étaient deux passionnés. Entre eux, le dialogue était permanent et bienveillant. Il leur arrivait de se brouiller quand lui voulait faire quelque chose et que son père n’était pas d’accord et réciproquement. Mais ça ne durait jamais longtemps, car aucun des deux n’aimait que l’autre soit fâché.

Propulsé à la tête du SERMAC en 1976, Jean-Paul Césaire structure la politique culturelle de son père en développant les ateliers au Parc Floral et en décentralisant les spectacles dans les quartiers de Fort-de-France. Un an après sa prise de fonction, la mairie se félicite de son action.

Le travail en profondeur accompli dans les ateliers aboutissait rapidement à des résultats concrets, et dès le Festival 77 des spectacles purement SERMAC étaient proposés au public foyalais : « Et les chiens se taisaient » en première mondiale, monté par l’Atelier Théâtre ; « Souffles », proposé par l’Atelier Danse Contemporaine ; Les premiers films 100 % martiniquais, tournés par l’Atelier Audiovisuel.

Municipalité de Fort-de-France

Jean-Paul Césaire a dirigé les principales structures culturelles de Martinique.

En 1998, Jean-Paul Césaire quitte le SERMAC pour prendre la direction de l’Atrium. Doté d'un équipement technologique de pointe, ce nouveau centre culturel accueille à Fort-de-France des spectacles, des expositions et des conférences, à l’instar du mémorable colloque "Aimé Césaire : Une pensée pour le XXIe siècle".

En 2006, Jean-Paul Césaire prend sa retraite mais il continue chaque matin vers huit heures d’aller saluer et discuter avec son père dans la petite maison de Redoute. Un tête-à-tête qui prendra fin deux ans plus tard. Le jeudi 17 avril 2008, le poète s’éteint "au bout du petit matin", imité aujourd’hui par son fils qui l’a rejoint.