"L’enfant du silence", le livre inspiré d’histoires dramatiques vécues par la martiniquaise Dominique Réjon

"L'enfant du silence", une autobiographie de la martiniquaise Dominique Réjon (2e trimestre 2024).
De son foyer d’orphelins intégré en 1956, à sa condition de retraitée aujourd’hui, ce livre de 215 pages raconte sans fard "l’inhumanité des épreuves" affrontées par Dominique Réjon (alias Christiane), inconditionnelle de Victor Hugo. Viol, maltraitance, la rue, les poubelles pour se nourrir… l’auteure tente de se guérir, à travers la littérature et la poésie en particulier. "L'écriture me libère et je compte bien sur elle pour me faire oublier les affres du passé".

Les éditions de "l’Ecritoire du Poète" présente le livre de Dominique Réjon. Cette martiniquaise née le 14 octobre 1956, a décidé de livrer son parcours de vie tumultueux, après tant d’années de douleurs endormies. Élevée au Foyer des Orphelins de Fort-de-France (Blvd du Général De Gaulle) dès ses 22 jours, son "calvaire" commence à l’âge de 4 ans.

Au mois de juillet 1960, pour les "grandes vacances", on me remet aux bons soins de personnes qui m'emmènent, m’enchaînent, me brutalisent et me maltraitent à leurs grés. Mon calvaire va durer 5 longues années, au cours desquelles, personne ne viendra voir, ni ne s'inquiétera de savoir pourquoi je ne chante plus, je fais pipi au lit et j'ai peur de la nuit.

Dominique Réjon (Page 11)

Dominique Réjon a consacré les 50 premières pages de son livre à sa famille, en particulier à sa mère, "une personne docile et obéissante, ce dont je n’ai pas hérité, fort heureusement" dit-elle. Page 51, elle affiche d’ailleurs la photo de Simonne Réjon ; "c’est tout ce que je possède d’elle", une maman qui a été internée à l’hôpital psychiatrique de Colson, d’où son placement à l’Orphelinat.

Un peu plus loin, Dominique évoque ses vacances chez des "amis" à sa mère, en juillet 1960, l’année où a commencé son cauchemar.

"Tel l’animal conduit à l’abattoir…" 

Est arrivé alors ce jour où la nuit tombée, il me dit en me prenant par la main : "viens, je vais t'acheter une glace !". Sans opposer de résistance, je l'ai suivi, l'innocence de l'âge peut-être, tel l'animal conduit à l'abattoir (…). Il me fait entrer dans le garage, puis monter dans sa voiture ; il enlève ma culotte, déboutonne son pantalon, jusque là je n'ai pas peur, il m'assoit alors sur ses genoux, me soulève et me plaque sur le volant de la voiture (…).

L’auteure (P.67)

"Je me suis tue à chaque viol de sa part et de son fils, je pleurais mais ne criais plus et je n'ai jamais rien dit à ce jour", ajoute Dominique (P.70). "J’étais devenue énurétique à la suite des viols" confie-t-elle encore (P.78).

Dominique Réjon parle souvent des religieuses bienveillantes à son égard. En revanche, les plus grandes filles du foyer, qu’on pourrait appeler "les grandes sœurs", lui ont aussi laissé des souvenirs douloureux.

Avec le temps, j'étais devenue une enfant difficile (…). J'avais peur de la nuit, je luttais pour ne pas dormir, de peur de faire pipi ; je ne voulais plus recevoir de coups, j'en recevais quand même ! Au réfectoire, je ne mangeais pas de tout non plus, c'était aussi une occasion pour me battre.

D. Réjon (P.120)

Dominique Réjon relate aussi quelques moments d’échanges avec sa maman, avant d’intégrer le collège. "J’étais toujours considérée comme une teigne, mais j'étais très bonne élève. J'aimais l'école" (P.123).

À cet instant précis j'ai eu comme le sentiment de faire de nouveau l'objet d'un sacrifice, d'une injustice en somme. Une chose était sûre, je n'allais pas me laisser faire !

D. Réjon (P.130)

La 4e de couverture de "L'enfant du silence", une autobiographie de la martiniquaise Dominique Réjon (2e trimestre 2024).

Première rencontre avec son père

C’est à l’âge de 11 ans que Domnique fait la connaissance de son père, à Macouba (commune du nord de Martinique), après avoir beaucoup insisté auprès de sa mère. Ce jour-là, c’est l’épouse qui l’a accueillie aux côtés de cet homme unijambiste qu’elle imaginait autrement. 

"Je le regarde, déçue, je ne le voyais pas ainsi, je ne sais pas comment, mais pas ainsi". L’homme se penche vers elle pour l’embrasser et lui dit : "embrasse ta maman… c’est ma femme, c’est ta nouvelle maman !" (P.136)

Et puis vers l’âge de 18 ans, Dominique quitte le foyer des orphelins rebaptisé La Ruche, après son déménagement au quartier Moutte, à Fort-de-France. Direction Bordeaux, grâce à une filleule de sa mère, qui lui a offert le billet d’avion et l’hébergement.  Mais à mesure que le temps passait, les difficultés grandissaient, et pour cause, "la filleule de ma mère, passée le temps des retrouvailles, n'en pouvait plus de ne pas me voir trouver du travail".

Un beau matin, elle m'a affublé d'un grand panier et d'une liste de provisions que j'étais censée rapporter le soir à la maison. M'expliquant comment faire, elle m'a menacé de rester dehors si je ne volais pas la nourriture dans le supermarché qu'elle m'avait indiqué à la rue Sainte-Catherine.

Dominique (P.154-155)

Une nouvelle galère commence

L’écrivaine raconte qu’elle a été contrainte d’aller fouiller plusieurs fois dans les poubelles d’un restaurant universitaire bordelais pour se nourrir, car elle s’est retrouvée quasiment à la rue.

Ma route avait croisé celle des gens merveilleux, bienfaisants, bienveillants, des étrangers qui m'avaient pris en charge, qui veillaient sur moi, ils respectaient ma crainte, ils avaient compris que j’avais vécu difficilement et que je demeurais effarouchée.

Dominique R. (P.158)

Ironie du sort, l’autrice martiniquaise a intégré son premier métier une semaine après sa majorité, en tant qu’agent hospitalier dans l’établissement psychiatrique de Bordeaux.

Les dernières pages de "l’enfant du silence" sont consacrées justement à sa maman, à Sœur Madeleine du foyer qui l’a vu grandir et à son retour en Martinique, où elle a mis au monde ses deux enfants. "J'ai occupé un emploi d'agent du service hospitalier pendant 2 ans dans l'hôpital psychiatrique où a été internée ma maman pendant 18 ans. Je ne suis jamais allé dans le bâtiment qu'elle occupait ; c'était trop difficile" se livre encore Dominique (P.186), alias Christiane, matricule 9 à l’époque du foyer.

De retour dans l’hexagone en 1989, Dominique Réjon a été tour à tour, professeure des écoles, adjointe d’animations, lauréate aux concours d’animatrice et rédactrice territoriale à la suite, présidente de l'amicale des locataires dans un OPH (Office Public Hlm) en banlieue parisienne, vice-présidente de l'association de défense des droits des locataires Clcv (une association de défense des locataires) du Val-de-Marne et militante auprès d'AIDES (pour la lutte contre le sida).

Aujourd'hui, elle est présidente de l'association AEC-16 de l'hôpital Saint-Maurice du Val-de-Marne, car guidée par "un besoin essentiel d'aider". Devenue parallèlement écrivain et poète, Dominique a en outre publié un recueil de poèmes pour accompagner son livre, fortement inspirée par Victor Hugo.

Recueil de poésie de la martiniquaise Dominique Réjon (novembre 2024).

L'écriture me libère et je compte bien sur elle pour me faire oublier les affres du passé (…). Victor Hugo a eu les mots qu'il fallait en se saisissant de la misère et de la pauvreté, pour dénoncer les méfaits sur le genre humain, notamment les enfants.

Dominique Réjon

"L’enfant du silence" et "la douleur du partage" sont publiés aux éditions de L’écritoire du Poète et disponibles sur doremi.christ@club-internet.fr