L’interdiction des pesticides, un sujet politiquement explosif dans les communes de Martinique

Champ élevage en Martinique.

Entre le refus de pointer du doigt le monde rural et la nécessité d’une agriculture saine, une douzaine de maires livrent leur analyse après la suspension par la justice de l’arrêté municipal du Prêcheur interdisant les pesticides.

"Je ne veux pas stigmatiser les agriculteurs". C’est, en résumé, la position de plusieurs maires sollicités sur l’initiative de leur homologue du Prêcheur d’interdire l’utilisation des pesticides dans certains quartiers de la commune, le 17 février 2020. L’arrêté municipal a été déféré devant le tribunal administratif par le préfet. Seul le ministre de l’Agriculture a compétence pour prendre une telle décision, a confirmé la juridiction, dans un jugement du 24 octobre 2020.

Le Conseil d’Etat a confirmé la décision attendue du tribunal local. Il reste que le sujet n’est toujours pas abordé au plus haut sommet de l’Etat. Comme s’il est d’une importance secondaire. Ce qui ne signifie pas que les maires de Martinique y soient indifférents. David Zobda, à la tête de la ville du Lamentin, forte d’une importante surface cultivée en banane et en produits maraîchers, ne souhaite pas "dans l’état actuel des connaissances" interdire l’utilisation des pesticides.

Plusieurs questions restent en suspens avant de prendre une telle mesure, comme nous le confie David Zobda : "Quelles sont les cultures concernées ? Qui sont les utilisateurs? Pourquoi sont utilisés les pesticides? Quelles seraient les solutions de substitution ? Seront-elles compatibles avec une production de masse capable d’aller vers l’autosuffisance que les anti-pesticides (dont je fais partie) prônent aussi ?"

Le maire de la seconde commune par la population (40 000 habitants) précise : "En réalité, un arrêté doit être l’aboutissement d’un procédé et d’une réflexion plutôt qu’un début d’action ou une simple intention politique."

Les pesticides inégalement utilisés sur le territoire

 

Yan Monplaisir, maire de Saint-Joseph, est plus radical. Pour lui : "Un, il faut balayer chez soi car Prêcheur est la commune où l’on utilise le plus de pesticides notamment par des cultivateurs haïtiens qui les importent illégalement de Dominique. Deux, j’interroge les agriculteurs qui me disent qu’ils n’ont pas encore de solution de substitution. Trois, je ne peux pas cautionner une position démagogique." S’il se déclare favorable à une agriculture saine et maîtrisée, "cela ne doit pas se traduire par la suppression de l’agriculture et la faillite de nos agriculteurs."

La production agricole ne peut pas encore se passer de l’apport des produits phytosanitaires, selon plusieurs maires. Comme celui de Saint-Pierre, Christian Rapha selon lequel : "Tout dépend de l’objectif. Si c’est politique, c’est une bonne formule. Si c’est sur le plan de la santé, ce n’est pas la bonne solution car si j’interdis les pesticides à Saint-Pierre et que les consommateurs achètent des produits ailleurs, le problème n’est pas résolu." Il estime que le sujet concernant toute la Martinique, il convient de le poser au sein de l’Association des maires.

Ce qui n’empêche de prendre des mesures incitatives, comme à Sainte-Anne. Son maire, Jean-Michel Gémieux indique que le conseil municipal a renforcé dans le plan local d'urbanisme la protection des terres agricoles par des zones agricoles protégées. Il est clair que "l'interdiction de pesticides doit être la règle." A savoir que "pour le succès d'une si bonne initiative, il est à mon sens perspicace qu'une majorité de maires, sinon la totalité, prennent cet arrêté."

Marie-Thérèse Casimirius, maire de Basse-Pointe évoque la charte mise en œuvre depuis trois ans, avec pour maître-mot : "Zéro pesticide". Elle ajoute qu’elle a rencontré les propriétaires terriens qui ont accepté la diversification de leur production.

L’avenir de l’agriculture en question

 

Au Morne-Vert aussi, des actions ont déjà été mises en œuvre. Lucien Saliber précise que les 80 producteurs de la commune qu’il administre sont convertis à l’agriculture biologique, surtout que les terres verdimornaises sont exemptes de chlordécone.

Il poursuit : "Pourquoi prendre un arrêté d’interdiction alors que nous réussissons déjà par conviction et par persuasion ?" plaide Lucien Saliber. Il ajoute : "Le contact entre la commission de l’agriculture et nos producteurs est permanent et les résultats se ressentent avec, notamment, le marché bio fréquenté par les consommateurs venus des quatre coins de l’île le samedi".

Sa voisine de Fonds Saint-Denis, Annick Comier, professionnelle du secteur, estime que "le non recours aux produits phytopharmaceutiques est un enjeu majeur pour moi en termes de développement agricole". Pour son collègue de Saint-Esprit, Fred-Michel Tirault : "Cet arrêté n’a pas d’intérêt dans notre commune car la plupart des agriculteurs sont passé au bio. Ils vivent près de leur exploitation et ne prendraient pas le risque de se contaminer."

"La question est sans objet" également pour Frédéric Buval, maire de La Trinité qui précise que "99% de la surface agricole de la commune sont plantés en cannes à sucre pour l’usine du Galion où l’arrachage des mauvaises herbes se pratique à la débroussailleuse. La banane est cultivée sans pesticides et l’élevage n'en a pas besoin." Commentant la décision de Marcellin Nadeau, il est clair : "Si c’est pour suivre une tendance politiquement correcte, cela ne vaut pas le coup".

Le sujet divise les maires, comme il commence de mobiliser le monde agricole, le premier concerné. L’arrêté du conseil municipal du Prêcheur, au-delà de ses vicissitudes judiciaires, a le mérite incontestable de poser la question de notre agriculture. Peut-elle se passer des produits phytosanitaires les plus nocifs ? Si oui, selon quel calendrier ? Sinon, comment concilier la santé de la population et la prospérité de la paysannerie ?