Le créole est langue officielle de la Martinique aux côtés du français. Ainsi l’ont proclamé les élus de l’Assemblée de Martinique. Moment historique pour les uns.
Nadia Accus-Adaine, élue de la majorité, première adjointe au maire des Trois-Ilets et membre du bureau de l’Espace Sud, souligne qu’aucune institution politique martiniquaise n’avait jamais pris une telle décision.
Moment de déception pour d’autres. Fred-Michel Tirault, maire de Saint-Esprit et ancien président de la fédération des Républicains, s’est abstenu. "À quoi bon ce vote, puisque nous savons que cette décision sera déclarée contraire à la Constitution ?" dit-il en substance. Ce en quoi il a parfaitement raison. Le préfet va logiquement demander au tribunal administratif d’annuler cette délibération. Exactement comme cela s’est passé en Corse, en mars. Louis Boutrin, du Gran sanblé pou Matinik, a informé l’assemblée que le tribunal administratif de Bastia a censuré un texte stipulant "la langue et les débats de l’Assemblée de Corse sont le corse et le français".
Un écueil juridique à négocier
L’écueil juridique n’est pas mince, estime Louis Boutrin, par ailleurs avocat. D’où son amendement, adopté, visant à transmettre le texte à la Première ministre afin de lui assurer un minimum de sécurité juridique. Ceci étant, les élus savent que leur décision est contraire à l’article 2 de la Constitution. Son article 2 stipule : "La langue de la République est le français".
Cette controverse née à Bastia et poursuivie à Fort-de-France, relance le débat sur la place des 75 langues régionales de France. L’État les a toujours relégué au second plan. Le corse, le basque, le breton, le catalan, le lorrain, le gascon ou l’occitan, par exemple, sont écrasés par le français. Un sort identique est réservé aux langues historiques des peuples de Kanaky, Wallis, Futuna, Polynésie, Mayotte, la Réunion, Guadeloupe, Guyane et Martinique.
Au-delà de cette polémique juridique qui débute, l’assemblée a voulu ratifier la réalité de l’omniprésence du créole dans l'espace public et dans la sphère privée. Elle a également validé, sans le dire de manière formelle, le combat de quatre dernières décennies mené par de nombreux militants culturels et par les universitaires regroupés autour Jean Bernabé et de son laboratoire de recherches universitaires du Groupe d’études et de recherches sur l’espace créolophone (GEREC).
Ratifier un fait sociologique
Ces linguistes engagés sur le terrain culturel ont obtenu la création d’un CAPES en 2000 et d’une agrégation en 2010 afin de former à haut niveau des enseignants de langue créole. Ceci sans le moindre soutien des institutions politiques martiniquaises, ni des forces politiques autonomistes et indépendantistes qui les dirigent depuis quarante ans, du reste. "Mieux vaut tard que jamais", comme l’écrit Raphaël Confiant, l’un des piliers du GEREC, sur son blog Fondas kréyòl.
Il reste l’écueil idéologique, autrement plus complexe à contourner, à savoir le consentement du peuple. Une large fraction peut légitimement se crisper sur cette question révélant la fragilité de notre consensus sur les marqueurs de notre identité. Là aussi, comme sur des sujets polémiques comme le drapeau et l’hymne, il est temps d’user de pédagogie pour expliquer, et de pertinence pour persuader.