La date du 10 décembre marque la fin du procès des militants de l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique, en 1963. Un demi-siècle plus tard, que retenir de cet épisode politique largement méconnu ?
En ce mardi 10 décembre 1963, le froid est saisissant sur Paris. Il s’insinue jusque dans le palais de justice. Dans la salle de la 16e chambre correctionnelle, le président du tribunal égrène lentement et distinctement son jugement. Il prononce cinq condamnations et treize relaxes contre les 18 prévenus poursuivis pour atteinte à l'intégrité du territoire national.
Ce sont des jeunes de 19 à 33 ans, une femme et dix-sept hommes, tous membres de l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique, l’OJAM. Leur occupation : étudiants, enseignant, médecin, avocat, artiste-peintre, bijoutier, inspecteur des douanes, ouvrier. Ils vivent aussi bien en Martinique qu’en France.
Ils risquent jusqu’à dix ans de prison. Leur délit ? Avoir placardé le matin du Réveillon de Noël 1962 sur tout le territoire une affiche au titre provocateur : "Manifeste de la jeunesse de Martinique". Un texte politique, le premier du genre, conclu par un slogan : "La Martinique aux Martiniquais". La stupeur est totale parmi la population.
Le manifeste de l’OJAM sème la panique
Le préfet, Michel Grollemund, est furieux. Le commissaire de police est sommé de s’expliquer sur l’incapacité du service de la police politique, les Renseignements généraux, d’avoir prévu cet affront. Le Parti progressiste et le Parti communiste, les deux principales forces d’opposition se taisent prudemment.
En février et mars 1963, la police arrête dix-huit membres de l’OJAM. Plusieurs autres ne sont pas identifiés. Communistes, nationalistes, catholiques, ils ont en commun de revendiquer l’émancipation du peuple martiniquais. Leur vocabulaire ne contient pas les termes "autonomie" et "indépendance", mais leur discours est considéré comme subversif par le gouvernement du général de Gaulle. Pour lui, la sécession des Antilles est inenvisageable.
Le procès de l’OJAM s’ouvre le 25 novembre 1963. Le président du tribunal s’étonne d’avoir à juger des jeunes gens contre lesquels il n’existe aucune preuve d’un quelconque complot. Un bataillon d’avocats de Martinique, de Guadeloupe, et de Paris se presse à la barre.
Cinq militants resteront en prison jusqu’à leur procès en appel, en avril 1964. L’OJAM disparaît mais le rêve de ces jeunes militants ne s’évanouit pas. Ils souhaitaient porter des réponses à la crise multiforme que connaissait la Martinique de l’époque : mal-développement, inégalités sociales, chômage massif, absence de perspectives pour les jeunes, vie publique sous contrôle, dénégation de notre personnalité collective. Des questions posées il y a plus d’un demi-siècle.