Sabine Andrivon-Milton, pionnière de l’histoire militaire martiniquaise, estime que les auteurs de la destruction de six de nos monuments aux morts veulent dénoncer le patriotisme de nos anciens. Ce qui montre qu’ils méconnaissent le contexte des deux conflits mondiaux. L’historienne déplore aussi l’ignorance de la symbolique attachée à ces monuments, « financés par des Martiniquais pour rendre hommage à des compatriotes qui ne sont pas revenus en Martinique ».
Un autre historien, Richard Château-Degat, propose une version complémentaire. Il estime, en accord avec sa consoeur, que nous ne pouvons pas juger avec nos yeux de 2022 des protagonistes d’événements survenus lors de la Première guerre mondiale de 1914-1918, il y a plus d’un siècle, ou du second conflit planétaire de 1939 à 1945, il y a quatre-vingt ans.
Sabine Andrivon-Milton dit ne pas comprendre comment certains peuvent penser à dégrader les noms de nos ancêtres. Richard Château-Degat évoque le nécessaire respect dû à la mémoire de ces hommes qui ne sont pas revenus vivants au pays natal.
L’histoire n’est pas figée dans le temps
Pour lui, le discours historique n’est pas figé. « Dans cinquante ans, nous n’aurons pas les mêmes problématiques, car la société va exprimer d’autres besoins et d’autres intérêts ». Il estime que « les auteurs de ces actes nous questionnent, dans une certaine confusion, mais nous ne devons pas attendre les réponses d’eux, dans la mesure où ce n’est pas l’auteur d’un acte qui détient forcément la réponse à la question qu’il pose ».
Une question concernant nos rapports avec la France, selon sa consoeur. Andrivon-Milton concède que « certaines personnes veulent essayer de gommer cette histoire qui est peut-être trop attachée à l'histoire française, mais qui est quand même notre histoire. » Il lui paraît évident que ces gestes sont liés à la manière pour certains d’appréhender les rapports de la Martinique avec la France.
Château-Degat va plus loin : « Il faut comprendre aussi qu’il existe une forme d’aversion qui s’aiguise contre la France dans une catégorie de la population » nous confie-t-il. Cette antipathie est également partagée, selon lui, par les auteurs de la destruction des statues de Victor Schoelcher en mai 2020.
Une ignorance du contexte
Sauf que, souligne Sabine Andrivon-Milton, les auteurs des dégradations des monuments aux morts ne prennent pas conscience du sacrifice de leurs grands-parents et aïeux qui ont contribué à ce que la France, et la Martinique, ne soient pas allemandes aujourd’hui.
Pour Richard Château-Degat, « nous sommes en présence d’une mouvance pour laquelle nos anciens, aliéné sur le plan culturel, se sont faits berner et sont coupables de ce dont nous souffrons aujourd’hui, la domination de notre pays ». Il estime que « cette mouvance entame une rupture avec nos anciens et ne veut absolument pas se revendiquer d’eux et de leur sacrifice ».
En clair, « ce sont des militants ou des citoyens à bout de souffle sur le plan idéologique s’exprimant dans une certaine confusion, et épuisés sur le plan politique car ils estiment qu’aucune solution n’est envisagée quant à nos rapports compliqués avec la France ».
Populariser notre histoire
Cette situation l’inquiète. « Nous sommes en train de perdre du sens et des principes avec cette rupture intergénérationnelle, une tendance dangereuse, le signal du démembrement de notre corps social ». Parmi les solutions qu’il propose, outre la généralisation de la connaissance des événements, la relecture de Frantz Fanon. Il est le seul, à son sens, qui nous donne les outils pour comprendre notre aliénation passée et actuelle.
Sabine Andrivon-Milton, quant à elle, milite et agit pour une vulgarisation de l’histoire, en particulier des périodes durant lesquelles la jeunesse martiniquaise est partie livrer bataille en Europe. Il fallait se battre contre les ennemis de « la mère-patrie », comme nos anciens disaient.
La mobilisation des spécialistes a d’ores et déjà sonné. Il est évident que notre ignorance collective de notre histoire, dans toutes ses composantes, doit être comblée au plus vite. Il y va de la cohésion de la Martinique du 21ème siècle.