Kréyol toupatou, kréyol tou lé jou. Voici ce qui nous attend désormais. Créole partout, créole tous les jours. Il faudra s’habituer à l’intrusion dans la sphère publique de notre "langue co-maternelle", selon l’expression de feu le Professeur Jean Bernabé. Asiré, pa pétèt ! Assurément !
Les faits sont là, têtus, démontrant que le combat sur la reconnaissance du créole comme une langue comme tout autre est désormais gagné. "Tout lang, sé lang", dirait Daniel Boukman, un autre valeureux pionnier de l’écriture de cet idiome longtemps considéré comme oral.
Ainsi, au lieu de la seule journée internationale consacrée à la valorisation de notre langue le 28 octobre depuis 1983, c’est un mois entier qui a été dédié à la culture créole. Outre la Collectivité Territoriale de Martinique, plusieurs communes et de nombreuses associations ont pris le relais. Dictée par-ci, initiation au bèlè par là, conférences et prestations artistiques ailleurs ponctuent ces quatre semaines.
Le créole est une langue comme tout autre
Une profusion de rendez-vous qui montre que nous vivons une certaine banalisation de la reconnaissance de notre culture ancestrale. Dans un autre registre, il convient de surligner les incontestables progrès accomplis par le système éducatif. Avec plus de 800 professeurs habilités et 119 classes bilingues, près de 4 000 élèves sur 76 000 reçoivent un apprentissage scientifique sur et dans leur langue natale. Ceux-là pourront développer leurs capacités d’apprentissage dans toutes les disciplines.
Il convient de mentionner également l’attribution d’une dotation de 90 000 euros dévolue aux éditeurs de manuels scolaires. Ils sont incités à produire des livres imprimés et numériques destinés aux écoliers et aux collégiens. Les productions sélectionnées seront disponibles à la rentrée scolaire de 2024.
Nous pouvons aussi signaler les efforts de la Collectivité Territoriale de Martinique. Elle souhaite développer une authentique politique linguistique. L’instauration du créole comme langue co-officielle n’est pas neutre. Au-delà de cette décision symbolique prise par l’Assemblée de Martinique, il s’agit de conférer à notre langue natale un statut et un cadre d’évolution.
Vers une politique linguistique publique
D’où la création d’un groupement d’intérêt public local dédié à la langue créole, "Kay lang kréòl la". L’assemblée territoriale a validé cette proposition de la conseillère exécutive Marie-Thérèse Casimirius lors de réunion plénière mensuelle, ce jeudi 26 octobre 2023. Cet organisme a pour but de fédérer les travaux de mise en valeur de langue et de contribuer à la définition d’une politique linguistique publique. Il est ouvert aux collectivités, institutions et associations. Pour le moment, les villes de Fort-de-France et du Lamentin l’ont rejoint.
Il n’est pas innocent que les débats entre les élus à ce propos se soient partiellement déroulés en créole. Faut-il comprendre que la CTM va bientôt assurer la traduction simultanée et la transposition de ses décisions en créole ? Cela était le cas au conseil municipal de Sainte-Anne, du temps du maire Garcin Malsa.
Insensiblement, le débat se décrispe. Les militants seront remplacés au fil du temps par les experts. Lesquels pourront enfin travailler à l’égalité entre nos deux langues.
Ce qui n’est pas encore acquis. Le français occupe une position prédominance sur le créole. Il est à espérer que cette situation d’inégalité, ou de diglossie comme disent les linguistes, prendra fin un jour prochain. Kon nou sav, fransé-a asiz adan an fotèy, épi kréyòl asiz asou an ti ban. Mé nou pou sipozé sé pou an tan.