La langue créole est-elle encore une force jugulée ? Une question en référence au titre de la magistrale analyse de sociolinguistique de Dany Bébél-Gisler, La langue créole, force jugulée publiée en 1976 aux Editions L’Harmattan. Cette scientifique guadeloupéenne reconnue pour la rigueur de son approche et la finesse de son travail démontrait, voici un demi-siècle, que les rapports de force entre le français et le créole aux Antilles menaçaient la survie de notre langue native.
Quelques années plus tard, elle a admis que le combat était désormais gagné. Animatrice d’une école privée, Bwadoubout, offrant une seconde chance à des naufrages du système scolaire, où l’enseignement était dispensé intégralement en langue créole, Dany Bébél-Gisler a démontré par l’exemple que notre idiome pouvait être sauvé.
Son livre a suscité des débats passionnés au moment où il est sorti. Les mouvements nationalistes radicaux prenaient alors toute leur place dans l’espace politique et culturel en Guadeloupe, en Guyane et en Martinique. Il était de bon ton de dénigrer ceux qui remettaient en cause la toute-puissance coloniale et ses effets délétères consistant à considérer la culture populaire, dont la musique et la langue, comme une sous-culture.
Le combat du créole est gagné
Puis, à force de résistance et de persévérance, des militants et des spécialistes de sciences humaines sont parvenus à imposer l’évidence. À savoir que nous avons deux langues à traiter sur le même plan.
C’est la raison pour laquelle la bataille judiciaire sur la co-officialité de langue créole a tout l’air d’une bataille d’arrière-garde. Qui est vraiment gêné par cette décision historique de l’Assemblée de Martinique, prise à l’unanimité sauf la voix d’un élu de droite ?
Après le jugement du juge des référés du tribunal administratif favorable à la Collectivité Territoriale de Martinique, la cour administrative d’appel et possiblement le Conseil d’État rappelleront vraisemblablement que la langue de la République est le français. Sauf si le gouvernement prend l’initiative d’une loi permettant de valider ce statut.
C’est précisément l’objectif de l’assemblée, qui a donné raison à Louis Boutrin, du groupe du Gran sanblé. Il a proposé un amendement traduit dans l’article 3 de la délibération, stipulant que le président de l’Assemblée de Martinique peut transmettre à la Première ministre une proposition de loi visant à modifier les textes en vigueur.
Vers une nouvelle législation sur les langues régionales ?
Du reste, le juge administratif s’est appuyé sur cet article 3 pour débouter le préfet de sa demande d’annulation de la délibération de l’assemblée. Ce qui a pour effet de valider, provisoirement, la décision de nos élus. Laquelle bénéficie d’une sorte de sursis.
Il restera à la majorité et aux oppositions à s‘unir pour imposer au gouvernement une décision qui va dans le sens de l’histoire. Une décision entreprise par le président du conseil exécutif qui aurait pu être mieux préparée, de manière plus consensuelle et pédagogique, dans le cadre du congrès des élus, par exemple. Soit ! Mais il se trouve que la Martinique va peut-être montrer la voie à suivre pour qu’une lumière bienveillante soit jetée sur les 75 langues régionales de France. Qui sait ?