Le barreau de Fort-de-France vient de perdre un de ses grands avocats. La Martinique vient de perdre l’un de ses plus ardents militants anticolonialistes. Hervé Florent s’est éteint trois semaines avant son 87e anniversaire (24 juillet 2021).
Le bâtonnier Philippe Sénart rappelle que cet avocat méthodique a été celui qui a obtenu le plus grand nombre d’acquittements à la cour d’assises.
Un fait avéré contrastant avec son tempérament affable et discret, cachant mal sa détermination et son sens de l’argumentation. Jamais un mot plus haut que l’autre, humble autant que serviable, il avait ouvert son cabinet aux Terres-Sainville. Un choix délibéré pour ce militant fidèle du Parti communiste martiniquais (PCM).
Issu d’une famille modeste, il n’a pas oublié ses origines. Après ses études de droit à Bordeaux et à Paris, il envisage de devenir magistrat outre-mer. Son destin prend un tour nouveau. Il revient au pays en décembre 1959, refusant d’être incorporé dans l’armée pour combattre en Algérie contre les militants indépendantistes.
Militant anticolonialiste de premier rang
Devenu avocat, il adhère au PCM puis devient, en 1962, secrétaire général de l’OJAM, l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique. Il sera l’un des cinq membres du Parti communiste à figurer parmi les dix-huit de l’organisation qui seront arrêtés en février et mars 1963. Comme ses camarades, il sera incarcéré à Fort-de-France puis à Fresnes, en région parisienne.
Les militants sont poursuivis pour atteinte à l’intégrité du territoire. Ils sont jugés devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris en novembre et décembre 1963. Lors de son interrogatoire par le président du tribunal, le 26 novembre, Hervé Florent s’exprime ainsi, comme le rapporte le journal Le Monde.
J'ai dû solliciter une bourse pour venir faire mes études en France, et je l'ai obtenue. Mais en arrivant ici, ce fut pour moi un choc psychologique brutal de découvrir que les départements de France n'avaient rien à voir avec ce qu'on appelle le département français de la Martinique.
Expliquer son rôle de secrétaire général de l’organisation, il poursuit : "Il y a un problème posé devant l'opinion et devant vous, celui de la décolonisation en général. Or une civilisation incapable de résoudre les problèmes importants est une civilisation décadente et moribonde. Alors, je crois profondément que le peuple martiniquais, que le peuple antillais en général ne pense pas que la civilisation française soit décadente. Il s'agit donc de trouver une solution. Voilà pourquoi l'O.J.A.M. a été créée".
Sans jamais varier dans son engagement
Ces explications ne convainquent pas les magistrats. Dans son jugement prononcé le 12 décembre 1963, le tribunal relaxe treize des inculpés et en condamne cinq. L’avocat doit purger une peine de trois ans de prison ferme et se voit infliger la perte de ses droits civiques et politiques. "Ce qui constitue, ni plus, ni moins, une condamnation à mort professionnelle" écrit dans un texte en hommage à l’avocat émérite, sa consoeur Marie-Line Richard-Méril.
L’injustice est d’autant plus flagrante que les juges estiment que "les faits se situent quant au temps et quant à la gravité entre l’expression libre des idées et le début éventuel d’un complot non encore déterminé." En clair, le délit n’est pas prouvé et encore moins constitué.
Au procès en appel en avril 1964, la condamnation d’Hervé Florent sera commuée en une peine de prison avec sursis et la déchéance de ses droits est annulée. Il exercera son métier, jusqu’en 1997, sans jamais varier dans son engagement pour l’autodétermination.