Il y a 58 ans, la Martinique est traversée par une vague de protestation contre le système en place. Une poignée de militants créent l’OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique), afin d’éveiller les consciences. Initiative mal vue par le pouvoir postcolonial.
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Dans la Martinique de la fin des années 50, les injustices sont toujours très largement d’actualité et les mouvements sociaux se terminent souvent dans des bains de sang.
Comme les 22, 23 et 24 décembre 1959, lorsqu’un banal incident routier entre un conducteur de scooter noir et un automobiliste blanc déclenche une intervention disproportionnée des CRS sur la Place de la Savane, à FDF…
Trois jours d’émeutes se soldent par la mort d’Edmond-Eloi Véronique -dit Rosile-, 20 ans, de Julien Betzi, 19 ans, et de Christian-Pierre Marajo, 15 ans.
La tension monte également sur les exploitations agricoles entre ouvriers et patrons békés, autour de l’éternelle question des augmentations de salaires.
Ainsi, lors d’un défilé de grévistes au Lamentin -le 24 mars 1961- 3 manifestants d’une 20aine d’années tombent de nouveau sous les balles des gendarmes. Une couturière : Annette Marie-Calixte, et deux ouvriers agricoles : Alexandre Laurencine et Edouard Valide.
La prise de conscience s’accélère ; des mouvements de contestation s’organisent à travers toute l’île ; de plus en plus, des voix dénoncent la répression et les atteintes aux libertés.
Craignant d’éventuels débordements lors de conférence de la jeunesse martiniquaise prévue pendant les grandes vacances 1961, le nouveau préfet Michel Grollemund décide d’annuler la manifestation, sans livrer plus de précision.
A Paris, les étudiants antillais suivent l’évolution des choses de très près ; le Front Antillo-Guyanais pour l’Autonomie -créée par Edouard Glissant- vient d’être dissous par le gouvernement, mais il poursuit ses activités de manière clandestine.
Le Front envoi au pays quelques étudiants très engagés, comme le jeune médecin Rodolphe Désiré, qui est chargé de fédérer toutes les voix anticolonialistes en Martinique.
Des réunions sont organisées dans les mornes et les bourgs pour rassembler toutes les bonnes volontés. La démarche débouche, le 10 octobre 1962, sur la création de l’OJAM, l'Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique. L'Assemblée Générale préparatoire a eu lieu publiquement à la Maison des Syndicats de Fort-de-France.
C’est là qu’est mis au point un « Manifeste de la Jeunesse Martiniquaise "contre le colonialisme, pour la libération de la Martinique ».
Les membres de l’OJAM veulent frapper un grand coup.
Ce sera fait à la fin du mois de décembre, à la date anniversaire des émeutes de 1959 :
A la veille du réveillon de Noël, le Manifeste de l’OJAM, imprimé sur des affiches en couleur, est placardé sur les bâtiments publics et sur les églises de toute la Martinique, de Sainte Anne à Grand Rivière.
Au matin du 24 décembre la Martinique se réveille sous le choc et découvre un texte qui ne laisse personne indifférent.
En décembre 1959, 3 fils de la Martinique, BETZI, MARAJO, ROSILE, tombaient victimes des coups du colonialisme français. Ce sacrifice montra à la jeunesse de notre pays la voie de l’émancipation, de la fierté, de la dignité.
Depuis, notre peuple, si longtemps plongé dans les ténèbres de l’histoire, offre une résistance de plus en plus grande à l’oppression coloniale. Mais le colonialisme français, suivant ses intérêts, accentue chaque jour son potentiel répressif, voulant ainsi maintenir notre peuple sous le joug colonial.
Aujourd’hui l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique déclare :
Que la Martinique est une colonie, sous le masque hypocrite de département français, comme l’était l’Algérie, parce que dominée par la France, sur le plan économique, social, culturel et politique. Ce qui se traduit par :
1) Une économie uniquement agricole, à caractère féodal.
2) La prépondérance d’une minorité béké, liée au colonialisme français, monopolisant la terre, les usines, le commerce et les banques.
3) Un déficit permanent de la balance commerciale.
4) Un revenu individuel moyen les plus bas du monde.
5) Le chômage et la misère.
6) L’insuffisance d’écoles, de bibliothèques, de stades, d’installations sportives.
7) La déformation de l’histoire martiniquaise à des fins assimilationnistes.
8) L’étouffement de tout effort pour développer une culture martiniquaise populaire et authentique. L’aggravation de la répression (Décembre 59, Mars 61), l’augmentation des forces policières, le renforcement constant de l’appareil administratif français, et l’immigration de plus en plus considérable de civils et militaires français.
9) La révocation de fonctionnaires martiniquais ayant résisté aux arbitraires tentatives d’exil.
10) Les condamnations de patriotes martiniquais.
Condamne définitivement le statut de département français comme contraire aux intérêts du peuple et de la jeunesse de la Martinique, et rendant impossible tout développement.
Proclame la nécessité de la collectivisation des terres et des usines.
Le droit de notre peuple d’exploiter ses richesses et ses ressources et d’industrialiser le pays.
Le droit de tous au travail et à un salaire décent.
La nécessité inéluctable de l’entrée de la Martinique dans le vaste mouvement de décolonisation totale.
En conséquence l’O.J.A.M. (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique) affirme que le malaise économique et social qui sévit à la Martinique ne pourra disparaître que grâce à un programme martiniquais au profit des martiniquais.
Proclame le droit des martiniquais de diriger leurs propres affaires.
Demande aux Guadeloupéens, aux Guyanais de conjuguer plus que jamais leurs efforts dans la libération de leur pays pour un avenir commun. Soutien que la Martinique fait partie du monde antillais.
Appelle les jeunes de la Martinique, quelles que soient leurs croyances et leurs convictions, à s’unir pour l’écrasement définitif du colonialisme dans la lutte de libération de la Martinique. le manifeste se termine par : LA MARTINIQUE AUX MARTINIQUAIS !
Les jeunes ont réussi leur coup, tout le monde ne parle que de l’OJAM et de son manifeste pour « la Martiniqiue aux Martiniquais », revendication quasiment inédite à l’époque.
Mais la France du Général de Gaulle ne compte pas en rester là avec les jeunes anticolonialistes Martiniquais.
A suivre
(Re)voir le dossier de Cyriaque Sommier - Olivier Nicolas dit duclos- Avec des Images de "La Martinique aux Martiniquais, l'affaire de l'OJAM" Un film de Camille Mauduech
Comme les 22, 23 et 24 décembre 1959, lorsqu’un banal incident routier entre un conducteur de scooter noir et un automobiliste blanc déclenche une intervention disproportionnée des CRS sur la Place de la Savane, à FDF…
Trois jours d’émeutes se soldent par la mort d’Edmond-Eloi Véronique -dit Rosile-, 20 ans, de Julien Betzi, 19 ans, et de Christian-Pierre Marajo, 15 ans.
La tension monte également sur les exploitations agricoles entre ouvriers et patrons békés, autour de l’éternelle question des augmentations de salaires.
Ainsi, lors d’un défilé de grévistes au Lamentin -le 24 mars 1961- 3 manifestants d’une 20aine d’années tombent de nouveau sous les balles des gendarmes. Une couturière : Annette Marie-Calixte, et deux ouvriers agricoles : Alexandre Laurencine et Edouard Valide.
Le Front Antillo-Guyanais pour l’Autonomie pousse la jeunesse à s’organiser
La prise de conscience s’accélère ; des mouvements de contestation s’organisent à travers toute l’île ; de plus en plus, des voix dénoncent la répression et les atteintes aux libertés.
Craignant d’éventuels débordements lors de conférence de la jeunesse martiniquaise prévue pendant les grandes vacances 1961, le nouveau préfet Michel Grollemund décide d’annuler la manifestation, sans livrer plus de précision.
A Paris, les étudiants antillais suivent l’évolution des choses de très près ; le Front Antillo-Guyanais pour l’Autonomie -créée par Edouard Glissant- vient d’être dissous par le gouvernement, mais il poursuit ses activités de manière clandestine.
Le Front envoi au pays quelques étudiants très engagés, comme le jeune médecin Rodolphe Désiré, qui est chargé de fédérer toutes les voix anticolonialistes en Martinique.
La Martinique aux Martiniquais
Des réunions sont organisées dans les mornes et les bourgs pour rassembler toutes les bonnes volontés. La démarche débouche, le 10 octobre 1962, sur la création de l’OJAM, l'Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique. L'Assemblée Générale préparatoire a eu lieu publiquement à la Maison des Syndicats de Fort-de-France.
C’est là qu’est mis au point un « Manifeste de la Jeunesse Martiniquaise "contre le colonialisme, pour la libération de la Martinique ».
Les membres de l’OJAM veulent frapper un grand coup.
Ce sera fait à la fin du mois de décembre, à la date anniversaire des émeutes de 1959 :
A la veille du réveillon de Noël, le Manifeste de l’OJAM, imprimé sur des affiches en couleur, est placardé sur les bâtiments publics et sur les églises de toute la Martinique, de Sainte Anne à Grand Rivière.
Au matin du 24 décembre la Martinique se réveille sous le choc et découvre un texte qui ne laisse personne indifférent.
Le manifeste de la jeunesse Martiniquaise :
En décembre 1959, 3 fils de la Martinique, BETZI, MARAJO, ROSILE, tombaient victimes des coups du colonialisme français. Ce sacrifice montra à la jeunesse de notre pays la voie de l’émancipation, de la fierté, de la dignité.
Depuis, notre peuple, si longtemps plongé dans les ténèbres de l’histoire, offre une résistance de plus en plus grande à l’oppression coloniale. Mais le colonialisme français, suivant ses intérêts, accentue chaque jour son potentiel répressif, voulant ainsi maintenir notre peuple sous le joug colonial.
Aujourd’hui l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique déclare :
Que la Martinique est une colonie, sous le masque hypocrite de département français, comme l’était l’Algérie, parce que dominée par la France, sur le plan économique, social, culturel et politique. Ce qui se traduit par :
1) Une économie uniquement agricole, à caractère féodal.
2) La prépondérance d’une minorité béké, liée au colonialisme français, monopolisant la terre, les usines, le commerce et les banques.
3) Un déficit permanent de la balance commerciale.
4) Un revenu individuel moyen les plus bas du monde.
5) Le chômage et la misère.
6) L’insuffisance d’écoles, de bibliothèques, de stades, d’installations sportives.
7) La déformation de l’histoire martiniquaise à des fins assimilationnistes.
8) L’étouffement de tout effort pour développer une culture martiniquaise populaire et authentique. L’aggravation de la répression (Décembre 59, Mars 61), l’augmentation des forces policières, le renforcement constant de l’appareil administratif français, et l’immigration de plus en plus considérable de civils et militaires français.
9) La révocation de fonctionnaires martiniquais ayant résisté aux arbitraires tentatives d’exil.
10) Les condamnations de patriotes martiniquais.
Condamne définitivement le statut de département français comme contraire aux intérêts du peuple et de la jeunesse de la Martinique, et rendant impossible tout développement.
Proclame la nécessité de la collectivisation des terres et des usines.
Le droit de notre peuple d’exploiter ses richesses et ses ressources et d’industrialiser le pays.
Le droit de tous au travail et à un salaire décent.
La nécessité inéluctable de l’entrée de la Martinique dans le vaste mouvement de décolonisation totale.
En conséquence l’O.J.A.M. (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique) affirme que le malaise économique et social qui sévit à la Martinique ne pourra disparaître que grâce à un programme martiniquais au profit des martiniquais.
Proclame le droit des martiniquais de diriger leurs propres affaires.
Demande aux Guadeloupéens, aux Guyanais de conjuguer plus que jamais leurs efforts dans la libération de leur pays pour un avenir commun. Soutien que la Martinique fait partie du monde antillais.
Appelle les jeunes de la Martinique, quelles que soient leurs croyances et leurs convictions, à s’unir pour l’écrasement définitif du colonialisme dans la lutte de libération de la Martinique. le manifeste se termine par : LA MARTINIQUE AUX MARTINIQUAIS !
Les jeunes ont réussi leur coup, tout le monde ne parle que de l’OJAM et de son manifeste pour « la Martiniqiue aux Martiniquais », revendication quasiment inédite à l’époque.
Mais la France du Général de Gaulle ne compte pas en rester là avec les jeunes anticolonialistes Martiniquais.
A suivre
(Re)voir le dossier de Cyriaque Sommier - Olivier Nicolas dit duclos- Avec des Images de "La Martinique aux Martiniquais, l'affaire de l'OJAM" Un film de Camille Mauduech
OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique)