La nouvelle crise de la banane antillaise pose le problème de la persistance de son modèle dépassé

Manifestation des planteurs à la DAAF.
Les producteurs de bananes donnent un délai supplémentaire au gouvernement pour qu’il réponde à leur cri d’alarme quant à la crise financière de leur filière. Ils veulent être traités sur un pied d’égalité avec toutes les filières de l’agriculture française. Ces exigences posent plus de questions qu’elles ne portent de réponses.

"Les planteurs de bananes en colère se mobilisent contre l'indifférence totale des pouvoirs publics". C’est le titre de l'article publié sur notre site internet mercredi dernier. Indifférence, disent-ils.

Les planteurs antillais de banane semblent avoir du mal à comprendre le contexte politique actuel. Les planteurs de banane, en tout cas leurs chefs de file, ont raison de s’inquiéter du peu de cas de leurs doléances de la part des ministères. Mais ils oublient que le président en place est celui qui a dénoncé le scandale sanitaire et environnemental du chlordécone. Ceci peut expliquer cela.

Ils oublient que ce président-là et son entourage ne possèdent absolument pas dans leur culture politique personnelle et générationnelle le syndrome néocolonial. Le chantage à l’emploi ou à la ruine des campagnes n’est pas un argument valable à l’Elysée, ni à Matignon, ni aux ministères de l’Agriculture et des Outre-mer.

Le ministère chargé des Outre-mer depuis la rue Oudinot, à Paris (photo d'illustration).

Indifférence ou hostilité ?

L’exécutif actuel n’est pas impressionné par les békés, ceux qui tirent réellement la filière. Est-ce à dire qu’ils pourront organiser l’invasion des aéroports de Guadeloupe et de Martinique, comme en novembre 1992 ? En tout cas, le vocabulaire qu’ils emploient en 2023 ressemble furieusement à celui qu’ils utilisaient il y a 31 ans.

Une fois cette énième crise passée, il faudra bien se poser quelques essentielles pour la survie de notre agriculture, en général. Par exemple, est-il possible, ou pas, de convertir totalement ou partiellement, les surfaces plantées en banane en fruits et légumes destinés à la consommation locale ?

Est-il pensable, ou non, que les salariés agricoles et les propriétaires terriens s‘orientent vers une agriculture nourricière au bénéfice de la population de leur territoire ? Est-il envisageable, ou pas, que les professionnels de ce secteur qui ne cesse de perdre des emplois face à l’agressivité de l’importation, répondent aux besoins des consommateurs de disposer d’aliments sains, abondants et à des prix raisonnables ?

Produits du MANA - Marché Agricole Nord Martinique (illustration).

Des questions posées à résoudre

Une autre question : comment se fait-il que nos meilleurs terres soient destinées à exploiter un fruit tropical que nous ne consommons même pas ? Est-il rationnel de mobiliser le savoir-faire des gens de la terre, salariés ou propriétaires, dans le seul but de satisfaire des consommateurs extérieurs ? Est-il soutenable, sur le plan politique, que notre pays demeure dans une perspective coloniale de monoculture agricole ? Et puis, pouvons-nous encore accepter, sur le plan intellectuel et conceptuel, que notre terroir, où tout peut pousser, soit livré à la spéculation sur-subventionnée d’un produit conçu sur mesure pour des gens d’ailleurs ?

L'ex ministre des Outre-mer Jean-François Carenco, sur le terrain avec le monde de la banane.

Les planteurs de banane se plaignent de l’indifférence du gouvernement à leur égard, par rapport à l’attention qu’il porte aux autres filières agricoles françaises. Ils oublient de dire que ces filières sont organisées pour satisfaire les besoins du marché domestique, et non l’exportation. Les pommes, les poires, les abricots, les raisins, les pommes de terre, les poireaux, la viande de boeuf et de porc produits en France sont majoritairement consommés…en France.

Et nous, est-ce que nous pouvons consommer facilement ignames, patates, bananes jaunes, christophines, aubergines, citrons, tomates, laitues ? Nous le constatons tous : nous sommes loin d’entamer la mutation vers l’agriculture paysanne, la seule qui vaille, dans un pays normal.