Jeudi 4 mars 1948. C’est la Mi-Carême. À l’Habitation Lajus, au Carbet, les ouvriers de la plus importante plantation cannière du Nord-Caraïbe, syndiqués à la CGT, sont en grève. Ils réclament une augmentation de leurs salaires. Le propriétaire est le béké Jacques Bally, médecin de profession, maire éphémère nommé par l’Amiral Robert en 1940.
Il cède après quatre jours d’arrêt de travail, non sans avoir appelé les gendarmes. Un détachement stationne sur la plantation depuis la veille. En réalité, le patron feint d’acter les revendications du syndicat. Il fait savoir aux ouvriers qu’ils peuvent venir percevoir leur dû. Ceux-ci se rendent, confiants, sur leur lieu de travail. Une fois la paie empochée, ils repartent vers le bourg.
C’est alors qu’ils sont surpris par un barrage des gendarmes qui tirent sans sommation sur le groupe d’ouvriers. Le bilan est lourd. Trois hommes sont tués : André Jacques et son frère Henri Jacques, ainsi que Mathurin Dalin. Deux sont grièvement blessés, dont Yvonne Jacques, qui s’était portée au secours de son frère André, attardé derrière le groupe. D’autres salariés sont légèrement blessés.
La brutalité de la répression surprend
La répression surprend par sa brutalité et sa soudaineté. Le préfet Pierre Trouillé, le premier depuis l’instauration du département, est accusé d’avoir donné son feu vert. Il ne dément pas.
À la tribune de l’Assemblée nationale, le député communiste Aimé Césaire s’insurge. Il publie une lettre ouverte, en fait, un poème au vitriol contre le représentant de l’État. Il exige, en vain, son rappel. Pierre Trouillé est surnommé "Le Sanglant".
Il reste en poste durant deux ans encore. Sa mission ? Enrayer l’expansion du communisme en Martinique. Pour cela, il faut éradiquer ou affaiblir l’unique centrale syndicale, la CGT, et le Parti communiste. Ce mouvement est alors puissant. Il dispose de quatre maires élus en 1945 et en 1947, d’un sénateur sur deux et de deux députés sur trois. De plus, Georges Gratiant, l’un de ses principaux dirigeants, a présidé le Conseil général en 1947 pour une année.
Une nouvelle grève meurtrière
Cet épisode dramatique est demeuré sous une chape de silence durant de longues décennies. Il ne se distingue pas d’autres événements du même type qui créent un traumatisme collectif. Depuis ces dernières années, l’historienne Muriel Descas-Ravoteur a quasiment exhumé les traces de ce conflit social, hélas banal dans sa forme, son déroulement et son issue.
La municipalité de la ville avec à sa tête Jean-Claude Ecanvil du Parti progressiste a érigé en mars 2022 une stèle commémorative. L’objectif est que nul n’oublie plus cette grève meurtrière du 4 mars 1948, passée à la postérité comme "la tuerie du Carbet".