L’assassinat déguisé en noyade d’André Aliker est désormais bien documenté. Le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Justice, publié par le mouvement communiste a payé de sa vie son impertinence. Durant plusieurs semaines, il avait donné à lire les tenants et aboutissants d’une fraude fiscale orchestrée par Eugène Aubéry, le patriarche béké de l’époque.
Le journaliste était passé outre aux avertissements visant à lui interdire la publication de ces documents compromettants. Comme souvent, la justice ne s’était pas hâtée pour emboiter le pas au journal. Hormis ses lecteurs et ses camarades politiques, André Aliker était esseulé. Ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre le récit du scandale.
Kidnappé et jeté en mer dans la baie de Fort-de-France le 1er janvier 1934, il réchappe de peu à la mort, du fait de sa condition physique. Onze jours plus tard, les assassins réussissent leur basse besogne. Enlevé à nouveau, ligoté les mains dans le dos et ligoté à une feuille de tôle, Aliker est découvert noyé sur la plage de Fond Bourlet, à Case Pilote, le 12 janvier par un garçon de 14 ans. Vraisemblablement torturé, André Aliker allait fêter son 40e anniversaire un mois plus tard.
Sacrifié sur l’autel de la vérité
Vu le contexte politique, il est évident que les commanditaires de cet acte odieux ne sont pas inquiétés par les magistrats. Les deux hommes de main ont tout de même été arrêtés puis jugés par la cour d’assises de la Gironde. Toutefois, les jurés de Bordeaux ne disposant d’aucune preuve de l’implication des accusés, ils sont acquittés.
Depuis, aucun autre assassinat de journaliste n’a été perpétré en Martinique. Toutefois, les pressions, les conseils plus ou moins amicaux, les menaces et les procès sont monnaie courante. De nos jours, l’insulte et les agressions physiques constituent les principales formes de violence envers les professionnels de la presse.
Des actes rarement dénoncés par les responsables politiques, du reste. Ici aussi, il est de bon aloi de se payer un journaliste. Surtout que l’insulte comme mode de communication est devenue banale sur les réseaux sociaux. Des anonymes s’y déchaînent sans vergogne. Certains reprochent aux médias de ne pas remplir leur mission d’informer. En réalité, de ne pas donner foi aux fake news et canulars inventés à mauvais escient.
Les réseaux sociaux contre la presse ?
Le problème vient de ce que de nombreux citoyens croient les mensonges propagés notamment sur la fachosphère, cet ensemble de blogs et de sites alimenté par les partisans des thèses néofascistes. Peu importe que certains vivent dans un monde parallèle qu’ils croient réel. À l’inverse, quand la presse publie des informations avérées sur l’intensité de la pandémie, par exemple, elle est accusée de faire le jeu du pouvoir.
Bien entendu, il n’existe aucun lien entre la toxicité des réseaux sociaux et la mort tragique d’André Aliker. Sauf un point commun : le journaliste ne fabrique pas les informations, il n’invente pas la vérité, il ne publie pas ses fantasmes. Il s’appuie sur des documents, des témoignages, des enquêtes pour réaliser des comptes-rendus fidèles à la réalité.
Les documents publiés par Aliker étaient de première main. Son récit s’est révélé rigoureusement exact. Ce que la presse publie, sur la pandémie par exemple, est tout aussi rigoureusement exact. À chaque citoyen de se faire son idée et son opinion. Ce qui est d’autant plus aisé que la diversité des médias le permet, largement.
Fort heureusement les citoyens, ici et ailleurs, attendent de la presse une information fiable, vérifiée et indépendante. Si les réseaux sociaux sont souvent placés à la première position comme point d’accès à l’information, ils sont néanmoins considérés comme peu fiables quant aux contenus diffusés. Plus que jamais, la presse, tous supports confondus, est vue comme un acteur central de la démocratie.