"Nègre, je suis, nègre je resterai". Cette phrase d’Aimé Césaire a été l’une des dernières prononcées en public. Elle sert de titre au livre d’entretiens avec l’universitaire réunionnaise Françoise Vergès, en 2005, publié Albin Michel.
Ces mots sont adressés à ceux qui l’ont combattu tout le long de sa vie. Comme ceux qui ont refusé l’invention de la négritude, révolutionnaire en son temps. Comme ceux qui justifient, aujourd’hui encore, la domination d’un peuple par un autre.
Comme ceux qui pensent que l’homme noir est inférieur à l’homme blanc, en établissant une distinction infondée entre les êtres humains à partir de leur couleur de peau et de leur culture. C’est la définition même du racisme, l’autre face hideuse du colonialisme, que Césaire a combattu quand d’autres se taisaient.
Le racisme n’est pas mort
"L’Europe est indéfendable" nous disait-il en 1950, dans son Discours sur le colonialisme. Il y dénonçait le nazisme, stade ultime du racisme. La lecture de ce livre nous alerte sur la vigilance à exercer face à ceux qui, aujourd’hui encore dans toutes les sphères de la société française, affichent leur condescendance envers les peuples de nos territoires périphériques.
Aimé Césaire goûtait peu les honneurs et fuyait les distinctions. Pourtant, il faut lui reconnaître l’incommensurable mérite d’avoir montré que la civilisation humaine ne se réduit pas au monde occidental. Ce qui lui a valu l’ostracisme de certains beaux esprits. Désormais, le meilleur hommage à lui rendre est de rester fidèle à sa pensée, manifestement indépassée pour le moment.
Sur le plan intellectuel, la légitimité de la Négritude est acquise. Pour autant, sommes-nous tous conscients et fiers de l’importance de la part négro-africaine de notre héritage culturel ? Avons-nous tous compris que nous n’avons rien à quémander à quiconque pour exister au monde ?
Un personnage complexe
Sur le plan humain, nous nous reconnaissons volontiers dans la complexité du personnage. Dans La Tragédie du Roi Christophe, (Présence Africaine, 1963), Césaire prête au héros cette proposition pour bâtir un avenir meilleur : « (…) un pas, un autre pas, encore un autre pas, et tenir gagné chaque pas ». Il sait aussi marcher au pas du peuple, qui, parfois, va d’un pas lent. Il est aussi ce personnage au tempérament péléen, subissant en silence l’injustice avant de se rebeller.
D’où la permanence du thème de la reconnaissance de notre identité au cœur de l’action politique de ce rebelle. Il a été pour beaucoup dans l’émergence du fait national martiniquais, quitte à être incompris alors qu’il évoque une réalité historique. Comme le fait dire à son héros Christophe : « Une nation n’est pas une invention, mais un mûrissement, une lenteur, année après année, anneaux après anneau".
Sur le plan politique, un discours que le Parti progressiste martiniquais fondé par Césaire il y a 65 ans, éprouve le plus grand mal à convaincre de la justesse de sa doctrine d’émancipation. Le PPM semble incapable d’inscrire dans l’espace public la vision de l’autonomie pour la nation martiniquaise. Notre aliénation mentale est plus profonde que nous le supposons.
Nous exhortant à avoir « la force de regarder demain », Aimé Césaire nous appelle à un « un effort collectif » car « il est urgent de faire naître une autre civilisation ». Il ajoute : « Il faut un autre monde, un autre soleil, il faut une autre conception de la vie ». Depuis qu’il n’est plus de ce monde, Césaire ne cesse d’être aimé. Pour mieux le lui prouver, il serait opportun de se plonger à nouveau dans tous ses textes, tous ses écrits et tous ses discours.