Le procès de l’OJAM, date essentielle pour le nationalisme martiniquais

Le 10 décembre 2018 marque le 55e anniversaire de la fin du procès des militants de l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique. Six décennies après, cet épisode conserve une certaine résonance.

Ce mardi 10 décembre 1963, le palais de justice de Paris est le théâtre de l’épilogue d’un procès peu banal. Le président de la 16e chambre du tribunal correctionnel, énonce son jugement. Il prononce cinq condamnations et treize relaxes contre les dix-huit prévenus poursuivis pour atteinte à l'intégrité du territoire national. Ce sont des jeunes âgés de 19 à 33 ans. Cette femme et ces dix-sept hommes sont des membres de l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique, l’OJAM.

Ils exercent diverses occupations : étudiant, enseignant, médecin, avocat, artiste-peintre, bijoutier, contrôleur des douanes, ouvrier. Ils encourent dix ans de prison pour leur participation présumée à un complot visant à soustraire la Martinique à l’autorité de l’Etat.

Faute d’avoir réunir des preuves tangibles et des aveux circonstanciés contre eux, il leur finalement reproché d’avoir apposé une affiche au titre provocateur : «"Manifeste de la jeunesse de Martinique". Le texte se termine par une phrase en forme de slogan : "La Martinique aux Martiniquais". La surprise est d’autant plus manifeste que le document est affiché dans la nuit du 23 au 24 décembre 1962.

Une opération-commando la veille de Noël

L’affiche est placardée dans toutes les communes au cours d’une authentique opération-commando inédite qui force l’admiration. Ou la peur. La peur que la Martinique avance vers l’indépendance. La peur que la France largue dans le vide le jeune département d’Outre-mer.

Pourtant, la police surveillait étroitement ces jeunes étudiants de retour ou de passage au pays. Ils opèrent la jonction avec de jeunes militants communistes et de jeunes militants chrétiens. L’OJAM tenait ses réunions en public, à la Maison des syndicats. Elle naît officiellement le 10 octobre 1962.

Après la gifle de l’affiche de la Noël, le préfet Michel Grollemund ordonne de resserrer la surveillance de ces trublions dont l’activité commence d’inquiéter en haut lieu. Il est vrai qu’une certaine effervescence règne dans le pays. Les militants partent à la rencontre des masses laborieuses des campagnes pauvres et des quartiers populaires des communes.

Une exfiltration clandestine

Quelques mois plus tard, en février et mars 1963, la police procède à un vaste coup de filet. Au total, elle arrête dix-huit militants de l’OJAM. Vu la proximité de ces interpellations avec le Carnaval, l’épisode passe à la postérité sous le nom de "complot du Mardi-Gras", comme est intitulé le livre de témoignages et d’analyse de Gesner Mencé, l’un des militants.

Ces jeunes communistes, nationalistes, catholiques ou sans affiliation partisane ont en commun de réclamer l’émancipation pour la Martinique. Certes, ils ne parlent pas d’autonomie ou d’indépendance. Toutefois, leur prise de position est considéré comme subversive par le gouvernement du général de Gaulle.

Incarcérés à Fort-de-France puis transférés en secret le 9 mars 1963 à la prison parisienne de la Santé puis à celle de Fresnes, les prévenus sont jugés à partir du 25 novembre. Les magistrats s’étonnent d’avoir à juger des délinquants contre lesquels n’existe aucune preuve. Leur seul tort ? Avoir exprimé des opinions politiques en contradiction avec la doctrine gouvernementale.

Un procès politique d’envergure

Un bataillon de dix-sept avocats des barreaux de Martinique, de Guadeloupe, et de Paris s’enorgueillit de défendre des militants ayant exprimé des opinions, Maître Marcel Manville en tête. Les plaidoiries tournent autour du vide du dossier d’inculpation. Les avocats et la vingtaine de témoins de moralité, dont le député-maire Aimé Césaire, s’indignent de la tenue même de ces auditions.

Au final, le jugement du président Batigne montre qu’il a partiellement cédé aux pressions exercées par le gouvernement, tout en reconnaissant l’absence d’un complot. Il égrène son jugement : trois ans de prison contre le douanier Henri Armongon et l’avocat Hervé Florent ; deux ans contre le médecin Rodolphe Désiré ; 18 mois contre le bijoutier Victor Lessort et un an contre l’étudiant Manfred Lamotte. Ils resteront incarcérés jusqu’au procès d’appel, en avril 1964.

Revenus au pays, les militants de l’OJAM connaissent des parcours différents, la plupart demeurant militants ou sympathisants de la cause de l’émancipation. Ils souhaitaient porter des réponses à la crise de la Martinique de l’époque : mal-développement, chômage massif, oisiveté des jeunes, absence de perspectives, déni de notre personnalité collective. Des questions posées en 1962, voici quasiment soixante ans.

* Gesner Mencé, Le complot du Mardi-Gras, Editions Désormeaux, 2001

 

Les 18 militants de l’OJAM poursuivis

Deux groupes de cadres de l’organisation sont poursuivis pour atteinte à l’intégrité du territoire. Ils comparaissent du 25 novembre au 10 décembre 1963 devant la 16e  chambre du tribunal correctionnel de la Seine, à Paris. Huit sont détenus. Ils ont été incarcérés à la prison de Fort-de-France, transférés à la prison de la Santé, à Paris, puis à la prison de Fresnes, dans le Val-de-Marne, au sud de Paris :
Henri Armougon, contrôlteur des douanes
Rodolphe Désiré, médecin
Guy Dufond, directeur d’école privée
Hervé Florent, avocat
Manfred Lamotte, étudiant
Victor Lessort, bijoutier
Henri Pied, médecin
Roger Riam, instituteur.

Le second groupe comprend treize prévenus libres :
Georges Aliker, étudiant
Guy Anglionin, apprenti
Charles Davidas, peintre en bâtiment
Renaud de Grandmaison, étudiant
Eusèbe Lordinot, instituteur
Gesner Mencé, instituteur
Marc (Loulou) Pulvar, étudiant
Joseph (Khôkhô) René-Corail, artiste-peintre
Josiane Saint-Louis-Augustin, étudiante
Léon Sainte-Rose-Franchine, instituteur