Ce n’est qu’à l’issue de la 7e table ronde, le mercredi 16 octobre, que les différentes parties - l’État, la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), les élus locaux, les distributeurs, les grossistes, les représentants des socioprofessionnels, le Grand port maritime et le principal transporteur (CMA-CGM) - se sont mises d’accord sur des moyens de lutte contre la vie chère en Martinique.
Toutes les parties, sauf le RPPRAC, instigatrice du mouvement. L'association n’a pas validé le dernier point des 28 qui figurent dans le protocole.
Trois axes définis
Le protocole propose des "objectifs et moyens" pour réduire les prix de certains produits de la vie courante, et ainsi pallier le différentiel de prix à la consommation de 14% en moyenne entre la Martinique et la France hexagonale. Ces points s’articulent autour de trois grands axes.
1. Baisser les prix de 6000 produits
Viandes, poissons, fruits et légumes, produits d’hygiène… au total, 54 familles de produits sont concernées. Pour "faire baisser les prix de 6000 produits alimentaires en Martinique", chaque partie aura un rôle à jouer.
- Pour les acteurs économiques, "l’ensemble des efforts va se traduire par une baisse des prix en moyenne de 20%", nous explique Alexandre Ventadour, président de la commission attractivité, développement économique de la CTM. Et "cette baisse des prix va faire que le différentiel avec la France soit compris entre 5 et 25% suivant le produit".
Pour un panier de produits dont le différentiel de prix moyen avec l’Hexagone est de 40%, cette baisse de prix ramènera le différentiel de prix moyen du même panier à 12 %.
Exemple du protocole
Pour être encore plus concret, prenons un produit qui coûterait 100€ en France hexagonale et 140€ en Martinique. Ce produit est donc 40% plus cher sur l’île. Quand les distributeurs vont appliquer une baisse de 20% sur le produit à 140€, cela représentera une baisse de 28€. Il coûtera donc 112€, ce qui fait qu’on aura ramené un différentiel qui était de 40% à 12%.
Plus généralement, les importateurs grossistes "s’engagent à répercuter sur les distributeurs les baisses générées par les mesures présentées dans le protocole pour permettre aux distributeurs de baisser leurs prix".
Ces baisses devront être répercutées sur les prix de vente par les distributeurs. Dans un souci de transparence, ces derniers s’engagent à "réduire les marges en valeur réalisées sur les produits concernés par les mesures [...] à l’exclusion des supérettes", "répercuter sur les prix de vente l’ensemble des avantages financiers qu’ils obtiennent pour atteindre l’objectif de baisse des prix" et "fournir plus de produits de "marque distributeur" en rayon, à proportion de l’offre proposée dans l’Hexagone".
- Du côté de la CTM, la collectivité devra "présenter devant l’Assemblée de Martinique en séance plénière une proposition de baisse de l’octroi de mer (octroi de mer interne et octroi de mer externe)" pour les 54 familles de produits, "compensée par un dispositif de péréquation".
- L’État s’engage à supprimer la TVA sur 69 familles de produits, "recouvrant au moins les 54 familles [...] ainsi que des produits de la production locale". Il participera également à la "mise en place d’un mécanisme de compensation permettant de réduire les frais d’approche" de ces produits, c’est-à-dire les coûts liés à leur transport jusqu’au point de vente.
- De son côté, le Grand Port Maritime s’engage à "permettre une péréquation des frais portuaires appliqués sur les 69 familles de produits visées pour réduire ces coûts dans la formation des prix des produits alimentaires".
2. Une plus grande transparence et une liste à élargir ?
Le deuxième axe, qui comporte neuf points, s’inscrit dans une démarche de baisse des prix de manière plus générale, c’est-à-dire sur "l’ensemble des produits de l’alimentation en Martinique". Cette revendication, chère au RPPRAC, pourrait donc revenir sur la table. De nouvelles discussions devraient avoir lieu pour élargir la liste des produits concernés par ces mesures.
Outre l’application de tarifs dits "export" pour la vente de tous les produits à destination des Outre-mer par les fournisseurs de l’Hexagone, les hypermarchés ne devront appliquer "aucune marge excessive sur l’ensemble des produits de l’alimentation courante". Le protocole insiste sur le fait que ces mesures devront "toujours rechercher à préserver la production locale. Les prix de vente des produits de la production locale concernés par le dispositif mis en place dans le cadre de ce protocole devront également répercuter les baisses décidées".
Toujours dans un objectif de plus grande transparence, les enseignes de distribution auront des comptes à rendre. Ils devront "communiquer à l’État les prix et les marges pratiqués sur les produits concernés au cours des six mois qui précèdent la signature du présent protocole". Ils seront également amenés, au même titre que les importateurs grossistes, à "communiquer au représentant de l’État, tous les 6 du mois, toutes leurs données économiques ainsi que les sorties de caisse, et selon des modalités adaptées à la taille des distributeurs". Pour les supérettes et les supermarchés, "un suivi simplifié sera proposé".
L’État "renforcera les contrôles" par les services régionaux des importateurs grossistes et des distributeurs.
Pour contrôler l’application du protocole, une mission sera financée par la CTM avec l’observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR). Des dispositifs de comparaison de prix bénéficieront également du soutien de la CTM, de l’État, des importateurs grossistes et des distributeurs.
Un protocole qui reste "flou"
Selon Michel Branchi, ancien commissaire de la concurrence et des prix, si ce protocole constitue une avancée, il reste flou.
Ce sont des engagements verbaux, mais il n’y a pas de mesure réglementaire (des décrets, des arrêtés) ni législative (des lois) annoncée par l’Etat français pour le contrôle des prix, déplore-t-il. Pour que ce soit réel, il faut aussi qu’il y ait des contrôles par une administration qui soit habilitée à faire des contrôles.
3. Soutenir la production locale
Dernier axe : "agir pour la refondation" du modèle économique martiniquais. Les mesures ont pour objectif de "favoriser l’autonomie alimentaire et soutenir la production locale".
Dans ce sens, pendant trois ans, une expérimentation sera mise en place dans le cadre du programme d’aide européenne pour l’agriculture d’outre-mer POSEI pour "favoriser la structuration de la production locale, les circuits courts et des prix modérés pour les produits "péyi" et financer les contrats de transition agroécologie (CTEA)".
Le montant de l’enveloppe pour commencer en 2025 est de 2 millions d’euros. Elle pourrait être portée à 4 millions d’euros pour 2026 et 6 millions d’euros en 2027 en fonction des résultats de l’expérimentation.
Autres initiatives : la création d’un Marché d’Intérêt Territorial au Lamentin, "pour favoriser la mise en valeur et l’écoulement de la production locale" et "l’élargissement de l'aide au fret pour la prise en charge des intrants au bénéfice des échanges de matières de base avec les pays de la CARICOM et du bassin maritime transfrontalier". Un dispositif qui pourrait être étendu aux exportations des produits de la production locale.
Enfin, pour améliorer "l’équilibre économique", les acteurs économiques et la CTM ont demandé un "moratoire de 10 ans sur la création de surfaces alimentaires supplémentaires de plus de 1000 m2, à l’exclusion des surfaces existantes et à reconstruire".
Ce document théorique devrait, dans la pratique se traduire par un suivi régulier qui sera mis en place par les différentes parties pour assurer la bonne mise en application du protocole. Les différents points entreront en vigueur à partir du 1er janvier 2025.