Morne-Rouge : le cimetière est la mémoire vivante de la commune

Le cimetière du Morne-Rouge
A l’approche de la Toussaint, les cimetières s’apprêtent à recevoir un afflux de familles. C’est le cas au Morne-Rouge où le site a été rénové récemment par la municipalité à hauteur de plus de soixante mille euros. Son histoire vaut le détour.

En Martinique les cimetières en commune ont un charme discret et désuet qui fait de ces espaces de repos éternel des lieux de vie à nul autre pareil, où le passé et le présent se marient sereinement. C’est le cas au Morne Rouge avec un site apaisant, traversé par des allées étroites, bordées de croix et de fleurs.

Le passé de ce cimetière, c’est le portrait en noir et blanc d'une belle jeune femme, morte il y a bien longtemps. C’est aussi une épitaphe gravée dans le marbre en l’honneur d’une certaine Rose-Ange : "Elle a trop pensé aux autres pour être oubliée". Ce sont enfin des prénoms de défunts qui fleurent bon l’autrefois, comme Esther, Arlette, ou Camille.

Le passé de ce cimetière, c’est également un cas de conservation exceptionnelle observée, lors de l’exhumation d’un corps, celui du père Nau. Ce prêtre avait d’abord exercé en Guyane, où il était particulièrement apprécié. Puis il était venu s’installer en Martinique en 1858, précisément au Morne Rouge.

Tombe de prêtres au cimetière du Morne-Rouge

"Ce cher père est mort six ans après à la Martinique, usé par les fatigues de son second ministère. Ses paroissiens, qui l’avaient en grande vénération, ont voulu posséder ses restes mortels. Enterré dans le cimetière du Morne Rouge, sépulture commune des membres de notre congrégation à la Martinique, il fut exhumé au bout de treize mois et trouvé à peu près intact. Transporté à la Guyane, il repose en ce moment au milieu de la paroisse de Remire".

Jules Brunetti

En 1869, une épidémie de fièvre jaune éclate en Martinique. Elle touche en particulier les garnisons du Marin et de Trinité ainsi que la ville de Saint-Pierre. La maladie fait plusieurs morts, dont un prêtre et professeur du séminaire collège. "Le même jour, il était transporté et inhumé au cimetière du Morne Rouge", rapporte un témoin de l’époque. 

Est-ce par cette voie que la fièvre jaune est arrivée également au Morne Rouge ? Beaucoup l’ont d’abord pensé, avant de "mettre hors de cause cette inhumation". L’origine de l’épidémie dans la commune "est facile à trouver, lorsqu’on considère que la population de Saint-Pierre, lieu contaminé, est en contact journalier avec celle du Morne Rouge".

tombe de 1880 au cimetière du Morne-Rouge

La capacité du cimetière du Morne Rouge sera mise à rude épreuve, trois décennies plus tard, lors des éruptions meurtrières de la Montagne Pelée en 1902. Si l’explosion du 8 mai épargne les habitants, celle du 30 mai leur est en revanche fatale. La nuée ardente tue ce jour-là près de mille personnes dans la commune. 

Cent vingt ans plus tard, le cimetière du Morne Rouge a bien changé. Il s’est agrandi. Ce n’est plus un mais deux sites où sont enterrés les défunts. En 2022, les tombes anciennes côtoient les casiers funéraires. Le jardin du souvenir tutoie le columbarium, où sont accueillies les urnes après la crémation. 

Le 8 octobre 2022, c’est Albertine Gérol, surnommée "Eléonore", décédée à l’âge de 77 ans, que ses proches ont accompagné à sa dernière demeure dans ce cimetière du Morne Rouge. Le cortège s’était réuni auparavant sur le parvis de l'église, selon la formule bien connue popularisée par les Avis d'obsèques sur les radios. 

C’est dans la partie ancienne de ce cimetière que repose depuis le 9 février 2022 l’ancien maire du Morne-Rouge, Pierre Petit. Avant l’inhumation, son cercueil avait sillonné les différents quartiers de la commune, avec une halte devant l’hôtel de ville. L’occasion pour les habitants de saluer une dernière fois sa dépouille. 

Tombe de Pierre Petit au Morne-Rouge

 

"Monsieur Petit est enterré dans le premier cimetière dans la même tombe que sa maman comme il le souhaitait. Mes parents et mes grands-parents sont également enterrés ici. Toute ma famille est enterrée ici. Je viens les voir chaque semaine. Je leur parle. Je ne sais pas s’ils m’entendent. Je suppose qu’ils veillent sur moi et qu’ils m’accompagnent. C’est important pour moi. Je suis attachée à ce cimetière".

Jenny Dulys-Petit, maire du Morne Rouge et veuve de Pierre Petit

Pierre Petit et son épouse Jenny Dulys-Petit

A l’approche de la Toussaint, Jenny Dulys-Petit coiffe sa double casquette de maire du Morne Rouge et de veuve de Pierre Petit. Sa famille, ce sont non seulement son mari et ses proches inhumés dans ce cimetière, mais aussi les habitants de sa commune dont la vie est rythmée par les naissances, mariages et enterrements. 

"Je suis effrayée par le nombre de gens qu’on a perdu ces dernières années au Morne Rouge", soupire Jenny Dulys-Petit, en faisant allusion à l’épidémie de Covid-19, qui a fait ici aussi de gros dégâts humains. En 2018, on enregistrait 40 décès dans la commune. En 2019, on en relevait 41. En 2020, on en dénombrait 46. En 2021, on atteignait les 71 morts. En 2022, on est déjà à 50.