Néo-titulaires de l’académie : entre maintien et retour en Martinique

La rentrée des enseignants au Lycée Joseph Zobel à Rivière-Salée.
Plusieurs enseignants de l’académie de Martinique reçus au concours national continuent de remuer ciel et terre pour rester en poste dans leur île. Cette revendication récurrente chaque année est soutenue par des élus jusqu’à l’Assemblée nationale. Mais selon l’ex-professeur de lettres et syndicaliste Yvon Joseph-Henry, "en revendiquant de rester, on bloque tous ceux qui attendent l’ouverture d’un poste pour rentrer, avec leurs points d’ancienneté".

Plusieurs néo-titulaires de l’académie de Martinique sont toujours déterminés à rester dans leur île natale pour enseigner, après avoir passé le concours national. Même requête chez certains de leurs collègues de Guadeloupe ou de La Réunion, d’où le maintien de la mobilisation.

D’ailleurs, le "collectif des enseignants néo-titulaires" martiniquais vient de rendre public, une énième doléance (reçue par la presse lundi 5 août 2022) à l’adresse des organisations syndicales de l’éducation, des élus locaux et nationaux (dont les 4 députés et les 2 sénateurs) et du président de l’Assemblée nationale.

Aidez-nous à nous faire affecter sur place ! L’état des lieux des établissements que nous sommes en train de réaliser, prouve que les besoins existent !  

Extrait du texte publié par le Collectif 

Le 27 juillet dernier, le nouveau ministre de tutelle, Pap N’Diaye s’est engagé d’après ce Collectif, "à traiter les dossiers transmis", lors d’une réunion avec les parlementaires ultramarins dont ceux de Martinique. La problématique avait été reconduite par le député Marcelin Nadeau à Paris la même semaine, après que les élus de la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique) ont voté à l'unanimité une motion pour "le maintien en Martinique des lauréats au concours". C'était lors de la séance plénière mensuelle de l’Assemblée, le 28 juin 2022.

(…) Ce sont des femmes et des hommes que l’on arrache à leur territoire, à leur vie familiale et à leur vie affective. Extrait de l’intervention du député du Nord, Marcelin Nadeau au Palais Bourbon, le 26 juillet 2022.

Extrait de l’intervention du député du Nord, Marcelin Nadeau au Palais Bourbon, le 26 juillet 2022.

Quelques semaines plus tard, le 24 août, Marcelin Nadeau est allé plus loin lors d’un meeting au Gros-Morne avec son allié de "Péyi-A", Jean-Phillipe Nilor, en proposant aux maires et à la CTM de "fermer pendant deux jours, tous les établissements scolaires de Martinique". Objectif : "faire plier le gouvernement qui fait la sourde oreille" selon le collectif.

L’UPEM et la FCPE sont contre

De leur côté, les associations de parents d’élèves (L’UPEM et la FCPE) sont opposées à cette proposition.

En 2020 nous avons estimé à plus de 15 millions d’heures cumulées de perdues du fait de la crise. Nous avons demandé que soit mis en place un plan de rattrapage pour permettre à notre jeunesse de ne pas décrocher des apprentissages fondamentaux. Nous devons collectivement faire en sorte qu’aucune heure de cours ne soit perdue aujourd’hui (…). Notre tissu social et économique a aussi besoin de toutes ses forces vives. Par nos actions, nous devrons ensemble trouver les solutions pour éviter d’un côté de pénaliser notre jeunesse en devenir et permettre d’un autre côté, une bonne adéquation du personnel enseignant avec nos besoins.

Claude Nicole, vice-président de l’UPEM

On ne pense pas qu’une fermeture des écoles soit une solution. Nous sommes tout à fait ouverts à la discussion, mais nous ne pouvons aujourd’hui valider encore des fermetures d’écoles. Les heures qui ont été perdues ces deux dernières années, c’est énorme. Alors qu’on parle de décrochage, de consultations et on cherche des solutions pour que nos jeunes puissent aller de l’avant, la FCPE ne peut pas applaudir la préconisation d’une fermeture, ne serait-ce que pour 2 jours. Elle est juste la cause, mais c’est sur la méthode.

Bruno Daniel, nouveau président de la FCPE, section Martinique, interrogé par Bertrand Caruge (matinale du 6 août 2022)

Les revendications du Collectif des enseignants-néo-titulaires-de Martinique.

Néo-titulaires et candidats au retour "en concurrence" 

Lundi 5 août, Nathalie Mons, rectrice de l’académie de Martinique affirmait en effet sur Martinique 1ère radio, que "1300 élèves sont en situation de décrochage" sur le territoire, un chiffre qui aurait augmenté depuis les interruptions de cours liées à la crise sanitaire ces deux dernières années.

La patronne du rectorat est également revenue sur le statut des néo-titulaires qui refusent une affectation hors de Martinique.  

On a un système qui fonctionne avec d'un côté, au primaire, un concours qui est local donc les collègues qui veulent être enseignants et rester dans l'île peuvent passer ce concours et de l'autre, on a un un concours dans le 2nd degré qui lui est national. Les collègues qui passent ce concours et qui le réussissent, en demandant à être affecté dans l'académie de Martinique, se retrouvent en « concurrence » avec des collègues qui sont déjà partis dans l'Hexagone et qui souhaitent également revenir. Et donc les collègues qui sont déjà partis, bénéficient d'une prime au retour et très souvent passent devant les néo titulaires (…). Et on ne peut mettre les néo titulaires que sur des postes qui correspondent à la quotité d'un service d'enseignement entier. Donc nos contractuels vont servir soit dans des remplacements soit dans des temps partiels (…), sur des congés longue maladie, des congés de maternité… .

Nathalie Mons, rectrice de l’académie de Martinique 

C’est dans ce contexte qu’Yvon Joseph-Henry a publié au mois d’août dernier une tribune, anticipant les mobilisations des nouveaux lauréats de l’éducation, à l’issue de leur succès au concours national.

Cet ancien professeur de lettres, ex syndicaliste SNES et de la FSU de Martinique au lycée Schoelcher et dont on connait le franc-parler, livre sans ambages son analyse sur la situation.

Nos résultats, malgré les coups de pouce données en douce au baccalauréat pour gonfler des notes à faire frémir, nos résultats restent à 7 points en primaire en dessous de l’Hexagone… Pour comprendre ce qui se joue, pour apprendre des autres, il faut partir (…). On est tous partis, tant pour faire nos études, que pour enseigner. C’est un principe que la mobilité, surtout dans une île où finalement une fois en place, on ne bouge que si le poste se ferme. C’est une manière d’apprendre des autres pour apprendre aux siens (…).

Y. Joseph-Henry 

"En toute connaissance de cause"…

Quant à ceux qui, en toute connaissance de cause, passent un concours dont ils savent qu’il les conduira à s’expatrier, ce sont des hypocrites, des apprentis manipulateurs qui veulent transformer un concours national alors que s’ils veulent rester en Martinique, ils peuvent tranquillement présenter le concours de professeur des écoles puis accéder par liste d’aptitude au statut de professeur certifié sans jamais quitter la Martinique. Il ne saurait être question de modifier des règles nationales pour une poignée de compères lapins. Et peut-on servir d’exemple à nos élèves avec une telle mentalité de tricheurs ? N’oublions pas non plus que nous avons déjà, dans le second degré, 1000 points pour revenir (ou rester), antillais, au pays, contrairement à tous les autres… mais on n’en dit rien ! Bouche cousue ! Et, en revendiquant de rester on bloque tous ceux qui attendent l’ouverture d’un poste pour rentrer avec, leurs points d’ancienneté en plus des 1000 points ! (…) Ne nous trompons donc pas de combat au risque de ne plus avoir d’enseignants martiniquais.

Yvon Joseph-Henry, ex-professeur de lettres et syndicaliste

(L’intégralité de cette tribune est à lire ICI).

D’après les derniers chiffres de l’académie de Martinique, à ce jour, sur 35 néo-titulaires mobilisés, 17 personnes ont fait un recours auprès du ministère. 2 parmi elles ont obtenu satisfaction afin de rester en poste dans l’île, "au regard de leur situation familiale". Plusieurs de ces nouveaux titularisés ont été majoritairement affectés à Versailles pour l'année scolaire 2022-2023 précise le rectorat.