Tordant le cou à une légende tenace, l’historienne Sabine Andrivon-Milton atteste que les Antillo-Guyanais ne partent pas dès le début du conflit, en juillet 1914. La hiérarchie militaire pense que la guerre sera terminée en décembre. Le recrutement des jeunes hommes sous les drapeaux (la conscription) est mise en place dans les colonies en décembre 1913. Il n’y a aucun intérêt, selon elle, à expédier ces recrues en Europe.
L’historienne précise que la guerre dure au-delà des prévisions. Des militaires viennent de l’hexagone pour former sur place les appelés du contingent au maniement des armes. Un grand nombre est déclaré inapte en raison de déficiences physiques, comme la malnutrition et les maladies infectieuses. Sur les 14 000 jeunes martiniquais qui devaient partir, 9 000 seront envoyés sur le front et 2 000 y trouveront la mort.
Les départs sont massifs à partir de mars 1915. L’armée a besoin de renforts, quitte à les faire venir des quatre coins de l’empire. Contrairement aux préjugés racistes des chefs militaires, les soldats des Antilles-Guyane et d’Afrique vont se révéler de très bons soldats. Une attitude qui suscite fierté au pays natal.
Un sacrifice d'amour pour la mère-patrie
Le sacrifice de ces milliers de soldats prouve l’amour de la population pour la mère-patrie. Il s’agit de payer l’impôt du sang, en offrant aux jeunes hommes la possibilité d’intégrer l’armée. Les appelés sont pressés d’affronter l’ennemi allemand. Leurs parents, leurs voisins, les maires et le Conseil général les y incitent. Les socialistes, antimilitaristes, sont marginalisés.
Les opposants à la guerre ont sociologiquement tort car ils sont politiquement minoritaires. L’air du temps est à l’assimilation, à l’intégration dans l’ensemble français. A ce titre, la séquence de la Première Guerre mondiale en Martinique représente un moment majeur de notre histoire.
C’est à cette période que le processus de l’assimilation prend toute sa consistance. Les quatre vieilles colonies (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion) sont invitées à montrer leur attachement à la métropole coloniale. La demande d’assimilation devient enfin concrète.
L’assimilation se concrétise
Un souhait manifesté depuis les années 1840. Deux générations après l’abolition de l’esclavage, l’égalité des droits implique le droit de se battre pour sa patrie. Paradoxe, dans le même temps, les possessions lointaines vivent des changements accélérés. L’approvisionnement devient aléatoire, les pénuries de produits de base sont fréquentes, la population s’appauvrit.
Pourtant, la production de sucre de canne explose littéralement pour alimenter les soldats. Les quotas de rhum sont augmentés pour fabriquer des explosifs. L’augmentation de la demande pour ces deux produits facilite la modernisation de l’industrie sucrière. Les planteurs et les usiniers s’enrichissent. Le prolétariat industriel devient une couche sociale déterminante.
Période d’intenses mutations, l’époque de la Première Guerre mondiale demeure mal appréciée. L’oubli et l’ignorance ne sont plus de mise. Fort heureusement, des chercheurs mettent en valeur autant le sacrifice de nos vaillants soldats que les conditions de vie de la population qui s’éveille alors, dans la douleur, au 20ème siècle commençant.
Pour aller plus loin
A écouter cet entretien avec l’historienne Sabine Andrivon Milton diffusé sur le site de l’association Oliwon Lakarayib :