À l’occasion de la première élection au suffrage universel du chef de l’État sous la Cinquième République, la population martiniquaise montre de manière spectaculaire son attachement à la France. Pourtant, la frustration générale est palpable quant aux retards pris par l’application effective de l’assimilation, ou départementalisation, obtenue en mars 1946.
La gauche socialiste, communiste et progressiste est majoritaire dans les communes et au Conseil général. Elle dispose également de deux des trois sièges de députés avec Aimé Césaire et le Dr. Emmanuel Véry. Pourtant, elle est nettement distancée pour cette première élection présidentielle au suffrage universel.
Le scrutin se déroule les 5 et 19 décembre, conformément au référendum de 1962 sur le choix par le peuple du chef de l’État, comme le souhaite le général Charles de Gaulle. Celui-ci est appelé en mai 1958 par le président René Coty pour mettre fin à la crise politique dans laquelle s’abîme la Quatrième République, instaurée en 1946.
Le peuple élit directement le président
Ce régime prend fin avec l’instauration de la Cinquième République, à la suite du référendum du 28 septembre 1958. Deux mois plus tard, son premier président est élu pour sept ans par 78,5% des voix d’un collège de 82 000 grands électeurs composé des parlementaires, des conseillers généraux et de représentants des conseils municipaux.
Logiquement, le général de Gaulle se présente à sa succession. Il hésite longtemps à participer à la campagne électorale, largement animée par ses deux principaux adversaires, le socialiste François Mitterrand et le centriste Jean Lecanuet, inconnu jusque là. Pour la première fois, la télévision est au centre de la campagne. L’autre innovation est la multiplication des sondages d’intention de vote réalisés par l’IFOP, l’unique institut d’opinion.
Le premier tour semble serré. À la surprise générale, de Gaulle est mis en ballottage, avec 45% des voix contre 32% à Mitterrand et 16% à Lecanuet. En Martinique, le prestige du chef de la France libre est intact. Il recueille pas moins de 90% des suffrages, le double de son score global. La participation est de 65%, 20 points de moins que la participation totale, mais tout de même élevée.
Un revers pour la gauche martiniquaise
L’opposition anti-gaulliste, bien implantée, avait appelé à voter massivement pour le candidat socialiste, en vain. Un revers s’expliquant par les craintes exprimées par de larges fractions de la population du "largage", de l’abandon par la France du tout nouveau département. Les alliés locaux du général de Gaulle ont su jouer efficacement sur cette corde sensible.
Douze ans plus tôt, le régime colonial était abandonné au profit d’un statut juridique et politique moderne. Les promesses d’amélioration des conditions de vie tardaient à se concrétiser, mais elles demeuraient crédibles pour ceux qui avaient connu de près la misère auparavant.
Les promoteurs de l’assimilation, les communistes et Aimé Césaire, avouaient regretter d’avoir choisi cette voie. Ils ne seront pas suivis par leurs électeurs qui votent massivement pour celui qui leur promettait que les retards seraient comblés.
Charles de Gaulle est élu au second tour avec 55% des voix devant François Mitterrand. En Martinique, il obtient sensiblement le même résultat qu’au premier tour, 90%. Un score qui permettra à ses soutiens locaux de s’implanter durablement pour les deux décennies à venir.