"Il nous faut une nouvelle mystique, une nouvelle ambition et une nouvelle utopie refondatrice sur une base démocratique pour la Martinique". Ce message a été lancé le 5 octobre 1992, voici exactement 30 ans, par le président du PPM (Parti progressiste martiniquais), Aimé Césaire. Cette phrase improvisée lancée lors de la rentrée annuelle de la formation politique qu’il a fondée avec d’autres camarades en mars 1958 résonne encore aujourd’hui.
Aimé Césaire souhaite alors lancer la réflexion sur un nouveau cap. Une dizaine d’années après l’arrivée de la gauche au pouvoir avec François Mitterrand, il importe de relancer le débat sur les relations de la Martinique avec la France. Le processus de la décentralisation lancé dix ans auparavant par la loi de décembre 1982 ne suffit pas, selon lui, à permettre le développement du territoire englué dans un chômage massif, des bas salaires et une émigration continue de ses forces vives.
Dans son compte-rendu, le quotidien Le Monde mentionne une autre phrase prononcée par le député de Martinique et maire de Fort-de-France. "Nous devons proposer aux Martiniquais une grande idée, une motivation : en bref, un projet de société". Ces propos rapportés par un grand journal confirment l’audience extérieure d’Aimé Césaire.
Les succès électoraux ne suffisent pas
Partisan de l’autonomie pour la nation martiniquaise, le PPM est alors au faîte de son ascension. Ce qui ne satisfait pas pour autant Césaire. Pour lui, il faut changer de statut juridique de département d’outre-mer en prenant soin au préalable de l’expliquer sans relâche au peuple.
Quelques jours plus tard, le 28 octobre, Aimé Césaire prononce le discours de clôture du 13e congrès du PPM. Les succès électoraux, aussi importants soient-ils, ne sont pas l’essentiel, martèle son président.
La gauche locale dirige alors le Conseil régional et le Conseil général, dispose des quatre sièges de députés, d’un des deux sièges de sénateurs et administre une demi-douzaine de communes.
L’important est d’avoir les yeux rivés sur la boussole afin de tenir le cap à tenir vers de nouvelles terres, pour paraphraser le poète et homme politique. La pédagogie consistant en la répétition, Aimé Césaire demande aux militants de marteler deux idées : aucun changement ne se fera sans le peuple ou dans son dos ; la Martinique a besoin d’une nouvelle étape.
Imaginer un nouveau cap, un vrai défi
Il estime que les idéologies ayant fécondé la pensée politique du 20e siècle se sont toutes écroulées. Il convient désormais de créer "un consensus martiniquais" sur la base de la défense de l’identité, de la lutte contre la misère et l’exclusion, dans la solidarité avec la Caraïbe.
Ce n’est pas la première fois qu’Aimé Césaire souhaite trouver un nouveau cadre de pensée et d’action afin d’imaginer une voie originale de développement. L’action se nourrit de la théorie, croit-il, en bon marxiste qu’il restera sa vie durant. Ainsi, 36 ans plus tôt, en 1956, le 24 octobre - décidément ce mois est une période féconde pour Césaire - il rend publique sa lettre de démission du Parti communiste français.
Le texte au vitriol adressé au secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, lance un vaste débat sur l’inadaptation de la doctrine communiste européenne aux anciennes colonies.
Ce n’est ni le marxisme, ni le communisme que je renie (…) c’est l’usage que certains ont fait du marxisme et du communisme que je réprouve.
Aimé Césaire
Déjà, il veut élaborer un nouveau type d’action politique et un nouveau cadre de pensée pour susciter l’adhésion des couches sociales exploitées. Ce qui l’amène à la création du PPM, puis à la critique de l’assimilation qu’il avait pourtant promu en 1946, enfin à ce discours sur la nécessité d’une utopie refondatrice.
Trois décennies plus tard, les exégètes et les sympathisants de Césaire sont partagés sur la question de savoir si la réponse attendue est déjà donnée, ou si elle est encore en gestation.