Le 24 mars 2021 marque le 60e anniversaire de la grève générale meurtrière des ouvriers de la canne dont l’épicentre se situait au Lamentin. Plus que jamais, il importe de savoir d’où nous venons.
Lamentin, vendredi 24 mars 1961. La foule est compacte dans les rues du centre-ville, surtout à proximité de l’église. La messe de Carême vient d’y être célébrée. Soudain, des coups de feu éclatent. Une fusillade à la mitrailleuse déclenchée par des gendarmes mobiles provoque la panique. Un lourd bilan est dressé : deux ouvriers agricoles et une couturière sont tués et 25 autres personnes blessées.
Un drame constituant le point d’orgue de cette énième grève des ouvriers du secteur de la canne, motivée par la revendication de l’augmentation de leurs salaires. Les gendarmes resteront impunis, comme l’ont été la plupart de ceux qui ont tué ou blessé des ouvriers agricoles lors des nombreuses grèves ayant émaillé notre histoire sociale tout au long du 20e siècle.
Lors des obsèques des trois victimes innocentes, l’oraison funèbre prononcée par le maire de la ville, l’avocat communiste Georges Gratiant, lui vaudra d’être démis de son mandat, à la demande du ministre des Armées, Pierre Messmer. Le procureur général demande, en vain, à ses confères de poursuivre, voire de radier ce ténor du barreau.
Le maire est démis de son mandat
Au-delà de la dimension humaine du drame, ces événements tragiques révèlent l’intensité d’une double crise : une dépression économique en raison de la chute du prix du sucre de canne, concurrencé par le sucre de betterave ; une crise politique née de frustrations multiples face aux promesses non tenues de la départementalisation obtenue quinze ans auparavant, en mars 1946.
L’égalité des droits n’est pas acquise. Le sentiment d’être des citoyens français entièrement à part, et non à part entière, prévaut. Or, le gouvernement du général de Gaulle n’entend pas se séparer des départements et territoires d’outre-mer. Ils confèrent à la France un rôle de géant planétaire, entre les États-Unis et le bloc communiste piloté par la Russie.
La répression de la grève du Lamentin est impitoyable car elle est une occasion supplémentaire offerte au pouvoir pour couper court aux revendications exprimées par les partisans de l’autogestion ou, à tout le moins, d’une plus grande participation des élus locaux à la conduite des affaires du territoire.
Une répression impitoyable
Les émeutes de décembre 1959 sont encore dans tous les esprits. À l’issue de cet épisode sanglant durant lequel trois jeunes hommes sont tués, les conseillers généraux, partisans et opposants du gouvernement, réclament d’être associés à la conduite des affaires aux côtés du préfet. Un appel unanime resté lettre morte.
Au contraire, l’État intensifie l’intégration économique et administrative des DOM-TOM à l’ensemble français. Qui s’oppose à cette dynamique est marginalisé. Ce sera le cas du Parti communiste d’Armand Nicolas et du Parti progressiste d’Aimé Césaire. Face à un gouvernement inflexible doté d’une feuille de route visant à éradiquer la volonté d’émancipation, plusieurs élus socialistes acceptent de jouer le jeu. C’est dire s’il faut marcher droit, si on ne veut pas subir les représailles du préfet.
Il importe de situer ces événements dans leur contexte afin mieux comprendre la Martinique d’aujourd’hui. "Quand l’histoire est oubliée, les générations ne se comprennent plus" disait l’historien Richard Chateau-Dégat en 2007, lors d’une conférence publique du festival culturel de Fort-de-France en hommage aux victimes de la tuerie du Lamentin. Il ne tient qu’à nous de faire en sorte, que toujours, l’histoire soit apprise et transmise, en sorte d’être une passerelle entre les générations.