Serge Bilé révèle le jardin secret d'Aimé Césaire

Dans le jardin secret d'Aimé Césaire de Serge Bilé aux éditions Jasor
"Dans le jardin secret d’Aimé Césaire", c'est le titre du nouveau livre de Serge Bilé. Il ne s’agit pas d’un ouvrage de plus sur l'illustre homme de lettres martiniquais, mais d’un éclairage intime sur l’homme et sur sa vie au-delà de sa vie publique.
"Dans le jardin secret d’Aimé Césaire", c'est le titre du nouveau livre de Serge Bilé. Il ne s’agit pas d’un ouvrage de plus sur l'illustre homme de lettres et homme politique martiniquais, mais d’un éclairage intime sur l’homme et sur sa vie au-delà de sa vie publique. Le journaliste, qui le rencontrait régulièrement, a puisé dans ses notes et sollicité la secrétaire et la gouvernante du maire-poète pour livrer ce témoignage inédit, drôle et sensible. Nous vous livrons quelques bonnes pages de cet ouvrage paru le vendredi 12 mai 2017.

Aimé Césaire et le créole

En mars 2001, quand Aliker et Césaire prennent d’un commun accord leur retraite politique et se revoient chaque vendredi, ce n’est pas seulement pour refaire le monde et commenter l’actualité. "Ça leur arrive aussi de parler de femmes", glisse Joëlle, la secrétaire de Césaire, d’un air entendu. "Je feins de ne pas comprendre". Elle rit et finit par me raconter les sorties à midi quand le maire-poète l’emmène visiter les chantiers. Assis derrière le véhicule, il observe tout ce qu’il se passe sur le trottoir. Parfois, quand il voit déambuler une belle femme avec de jolies formes, Césaire dit au chauffeur : «Es ou ka wè sa mwen ka wè’a" ?
 

Aimé Césaire et la télévision

Dès qu’il rentre chez lui, Césaire se débarrasse de son costume et de sa cravate pour enfiler sa "tenue de Nègre marron". C’est ainsi qu’il désigne la vieille veste grise qu’il porte à la maison avec un pantalon gris attaché à l’aide d’un cordon. Après le repas, c’est la sieste, et après la sieste, il remet son costume et sa cravate pour la fameuse promenade de l’après-midi. Même si ces balades quotidiennes lui font du bien, il veille à ne pas s’éterniser dehors. Il doit en effet revenir à temps pour suivre avec sa sœur Mireille une émission télévisée qu’elle apprécie particulièrement et qu’il a fini par aimer : Questions pour un champion. "Il s’amuse à répondre aux questions et il a souvent tout bon", sourit Clémence, sa gouvernante.
Aimé Césaire était souvent entouré de journalistes de la presse martiniquais, dont Serge Bilé (à droite)

Aimé Césaire et ses visiteurs

Césaire est tellement timide qu’il se rend malade quand un ministre ou une personnalité, de passage en Martinique, vient le saluer au bureau. Clémence, la gouvernante, me confie qu’il "n’aime pas ça" et que chaque fois qu’il doit se plier à cette "corvée", il s’écrie : "Ça m’emmerde" ! C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il demande toujours à Pierre Aliker ou Camille Darsières d’être présent. Il lui arrive néanmoins d’être conquis par l’officiel du jour. C’est le cas du ministre Dominique Strauss-Kahn qu’il reçoit avec son épouse d’alors, la journaliste Anne Sinclair. Ils ont "un bel entretien" mais, en raccompagnant DSK, le maire-poète souffle à l’oreille de sa secrétaire : "C’est un beau charmeur" !
 

Aimé Césaire et le prix Nobel 

Joëlle profite d’un petit moment de répit pour me tendre l’une des deux lettres. L’objet est écrit en majuscules : PROPOSITION POUR LE PRIX NOBEL DE LA PAIX. Elle m’explique que, lorsqu’elle a montré la lettre à Césaire, il lui a répondu presque fâché : "Moi ? Le prix Nobel de la paix ? Ça jamais ! Qu’on le donne à quelqu’un de plus sage, mais pas à moi ! Je suis un rebelle" ! Je m’approche de Césaire. Il n’est pas vraiment surpris de voir "la presse" débarquer dans son bureau. L’entretien démarre. Sans lever les yeux ou à peine, avec ce brin d’ironie et de malice qu’il affectionne, il me glisse : "Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Jamais personne ne m’a déclaré la guerre et la Martinique n’est pas attaquée ? Alors pourquoi est-ce qu’on me parle de prix Nobel de la paix" ?
 

Aimé Césaire et Camille Darsières

Camille Darsières, c’est le combattant infatigable avec qui Césaire a mené de grandes luttes politiques. Darsières c’est le comédien drolatique qui le faisait rire avec ses imitations de personnalités locales. Darsières, c’est le compagnon attentionné aux côtés de qui il partageait, pendant ces cinq dernières années, une fois par semaine, le jeudi, les promenades bucoliques de l’après-midi. Signe du destin ? Camille Darsières s’éteint un jeudi matin à 7 h 25 ! Ce 14 décembre 2006, quand Césaire arrive, le corps de son ami repose sur un lit. Effondré, il se jette et se blottit contre lui pendant un long moment, en caressant sa joue avec tendresse. "Mais pourquoi es-tu parti ? Pourquoi ? On devait se voir cet après-midi" !