Soixante ans plus tard, la mort brutale du député de Guyane Justin Catayée demeure mystérieuse

Le 22 juin 1962, Justin Catayée meurt tragiquement dans un crash aérien sur les hauteurs de Deshaies, en Guadeloupe.
Ce 22 juin 2022, il y a exactement 60 ans que le député de Guyane Justin Catayée a trouvé la mort, avec 112 autres personnes, dans un accident d’avion survenu en Guadeloupe. Deux thèses s’affrontent pour expliquer le crash du Boeign-707 vol d'Air France à l’approche de l’aéroport du Raizet : l’accident ou l’attentat. Pourquoi les familles des victimes attendent-elles encore la vérité ?

Saurons-nous jamais un jour la vérité sur la mort tragique de Justin Catayée et de tous les autres passagers du vol 117 d’Air France, le 22 juin 1962 ? L’enjeu est de mettre fin à l’ambiguïté persistant depuis six décennies sur les causes du crash survenu quelques minutes avant l’escale guadeloupéenne de l’appareil. Les familles des 113 victimes n’ont toujours pas reçu l’assurance que c’est un dramatique accident qui a coûté la vie à leurs proches. Ce qui accrédite l’hypothèse de l’attentat.

Orly, 21 juin 1962. Il est minuit. Le vol 117 d’Air France s’apprête à décoller vers sa destination finale, Santiago du Chili. Il doit effectuer cinq escales : Lisbonne, Açores, Pointe-à-Pitre, Bogota et Lima. Le commandant, André Lesieur, est un as de l’aviation. Il a eu  l’occasion de piloter l’avion du président de Gaulle, notamment vers les Etats-Unis et le Canada.

Or, quelques minutes avant son atterrissage au Raizet, l’appareil disparaît des radars. Il s’est  fracassé à 4 heures du matin sur le massif du Dos d’âne, à Deshaies, au nord de la Basse-Terre.

Lieu du crash à Deshaies

L’enquête conclut à un malheureux concours de circonstances : une panne des instruments de guidage au sol de l’aéroport et l’insuffisance des données météorologiques.

Une enquête contestée par les riverains

Ce qui a pu provoquer de la part du personnel navigant une mauvaise manœuvre d’approche de la piste, l'avion ayant dévié de la bonne trajectoire.

Il se trouve que des habitants de Deshaies évoquent une explosion de la queue de l’avion avant qu’il n’ait atteint le sol. Dès lors, pourquoi conclure à un accident ? Les investigations de révèlent aucune trace d’explosifs. La thèse de l’erreur humaine consécutive  à des défaillances techniques est retenue.

Les 113 dépouilles sont essentiellement celles d’hommes d’affaires péruviens et français, d’un écrivain colombien prometteur et d’étudiants antillais de retour au pays. Deux victimes retiennent l’attention des enquêteurs : le député socialiste de Guyane Justin Catayée, 46 ans, et Paul Niger, 47 ans, nom de plume d’Albert Bévill. Ce haut fonctionnaire guadeloupéen de l’administration coloniale, précédemment en poste au Mali et au Sénégal milite ouvertement en faveur de l’indépendance de la Guadeloupe.

Saura-t-on jamais la vérité sur la mort de Justin Catayée dans le crash du 22 juin 1962 en Guadeloupe ?

Un attentat pour éliminer deux opposants politiques

Il est l’un des co-fondateurs du Front des Antillais et des Guyanais pour l’autonomie (FAGA) avec Edmée Marie-Joseph et Edouard Glissant. Particulièrement surveillé, il réussit à échapper au contrôle de la police aux frontières et parvient à s’embarquer dans l’avion. Béville devait effectuer un séjour dans sa Guadeloupe natale chérie. Militant sans concession et écrivain talentueux, il était une cible des officines de renseignement.

Pour sa part, Justin Catayée revient à Cayenne pour mettre à profit une mobilisation populaire aux airs de situation insurrectionnelle, sur un fond de crise économique sévère. Il y voit l’occasion de réaffirmer sa revendication d’un statut spécial, une forme d’autonomie. Un objectif porté par le Parti socialiste guyanais qu’il fonde en 1956. Sans le savoir, il prononce son dernier discours à l’Assemblée nationale quelques jours avant son voyage. D’une phrase prémonitoire, il annonce à la tribune qu’il se peut qu’il ne revienne pas au Palais Bourbon. Catayée se sait menacé. Il avertit des amis et son frère, médecin à Montpellier.

Il est d’autant plus déterminé dans son objectif qu’il s’estime trahi par le général de Gaulle, qu’il avait rejoint dans la Résistance. Le président de la République ne veut pas entendre d’autogestion ou d’extension des pouvoirs aux élus de l’outre-mer. Il se montre agacé face à l’opposition résolue des partis de gauche des quatre départements d’outre-mer quant aux nouvelles institutions qu’il entend mettre en place.

Catayée se sent trahi par le général de Gaulle

La campagne en faveur du "non" au référendum dans nos territoires prend de l’ampleur. Inquiet, le président envoie son émissaire André Malraux amadouer les communistes et les socialistes réunionnais, guadeloupéens, guyanais et martiniquais. Le message est clair : vous appelez  à voter "oui" et vous obtiendrez des franchises locales, en clair, un certain degré de décentralisation.

Rassurés, les dirigeants des partis de gauche changent de pied. Ils appellent à approuver le projet de Constitution ou à s’abstenir. Le  "oui" l’emporte, en septembre 1958. La Cinquième République est instaurée. L’autogestion ne vient toujours pas dans l’outre-mer. La crise économique et sociale s’intensifie.

D’où la virulence des critiques de Catayée. Ce qui lui aura peut-être valu son élimination par les services secrets. 

 si ce sont les services secrets qui ont organisé l’attentat, il est très clair que nous n’aurons jamais de documents car les services secrets ne laissent jamais de traces

René Bélénus, historien guadeloupéen

 Mais saurons-nous jamais la vérité ?