Tous les riverains de Langellier-Bellevue, quartier Ravine-Vilaine à Fort-de-France, connaissent Suzette Larcordelle. Âgée de 83 ans, elle s’installe chaque jour sur sa chaise pliante, sous un abribus de la voie principale du quartier, avec son panier de pistaches grillées.
Le jour de notre rencontre (le 15 août 2023), derrière ses petites lunettes, elle était en train de lire "L’éclosion du Malfini, chronique d’une métamorphose" d’Olivier Marie-Lucenay, un jeune prêtre démissionnaire.
Lire, la seconde passion de Suzette Lacordelle
"J’ai toujours aimé lire (…). J’étais femme de ménage avant et c’est en 2002 que j’ai pris ma retraite. J’ai aussi travaillé à la mairie, puis dans une banque comme technicienne de surface", une terminologie qu’affectionne notre joyeuse marchande de pistaches.
Suzette est en effet toujours souriante et respire la bonne santé. Quand on lui demande le secret de sa forme et de son agilité, elle répond : "c’est grâce aux repas des malheureux, ti-nains-morue, haricots rouges, fruit à pain et de la viande le dimanche, mais pas trop. Et puis il faut varier les repas".
C'est lors de la grande grève de 2009 en Martinique, que Suzette Lacordelle a décidé de s’installer sous l’abribus de son quartier Langellier-Bellevue, faute de transport durant la période. Elle ne pouvait plus se rendre à Fort-de-France, sur la Place Savane, où elle vendait ses pistaches auparavant.
Du lundi au vendredi, jours fériés compris, elle est fidèle au poste. "Je suis fonctionnaire Monsieur" dit-elle en rigolant, car le week-end, elle passe des moments en famille ou avec ses amies. Mais notre marchande trouve tout de même le temps de voyager.
"Je fais aussi de la liqueur"
J’ai déjà fait 4 croisières et je fais aussi de la liqueur. Pour mon premier voyage, une de mes commères m’avait demandé d’emmener quelques bouteilles, mais à l’entrée du bateau, il était interdit d’introduire des boissons, donc je n’ai pas pu régaler le groupe avec lequel je voyageais.
Suzette Lacordelle
Et puisqu’elle a pris goût du voyage, Suzette espère aller au Brésil un jour, après avoir visité plusieurs îles de la Caraïbe.
Je prépare entre 40 et 50 cornets par jour, avec ma machine à griller. Mais je fais mes paquets sur place, sous l’abribus, comme ça, mes pistaches restent chaudes. Je les laisse à l’abri du vent, c’est pour cela que mon panier est recouvert en permanence avec un cellophane transparent. Je fais aussi des nougats pistache.
Suzette
"Je ne crois plus en les prêtres"
Suzette parle aussi volontiers de la foi entre deux clients. Croyante, oui, mais...
J’étais croyante autrefois, mais après la lecture d’un livre et tout ce qui se passe (…), cela m’a refroidie. Je crois toujours en Dieu, oui, mais je ne crois plus en les prêtres. Avant, j’allais à la messe tous les samedis (…) et puis c’est trop répétitif, tout le temps la même chose, les mêmes paroles. Parfois on a envie de changer de femme ou d’homme [rire]…mais moi, cela ne m’est pas arrivé.
Suzette Lacordelle
Suzette est veuve depuis 1996, après 31 ans de mariage.
"Si je ne suis pas ici, je ne suis pas heureuse"
Concernant ses finances, Suzette nous dit qu’elle "ne tient pas de comptabilité", puisque le fruit de ses petites recettes sert à faire les courses en semaine. Donc pas de quoi rouler sur l’or, sachant qu’un cornet de pistaches est vendu 1€20 en moyenne.
Et quand on demande à Suzette ce qui la rend heureuse, en dehors de sa bonne santé, elle répond sans détour : "si je ne suis pas ici [sous l’abribus], je ne suis pas heureuse".
Suzette aspire juste à rester en bonne santé pour continuer à vendre ses pistaches à Langellier-Bellevue, "au lieu de regarder des bêtises à la télé" lance-t-elle au passage et profiter de ses 4 enfants (3 filles et1 garçon) et de ses 6 petits enfants.
L’octogénaire avoue n’avoir aucun souci particulier de santé, mais elle commence à perdre un peu la mémoire. "C’est pour cela que je lis beaucoup" précise-t-elle, pour stimuler ses neurones. C’est peut-être aussi l’un des secrets de sa bonne forme.